TOULOUSE
Après une campagne de travaux, la Fondation Bemberg a rouvert ses portes avec un parcours très muséal, loin de l’intérieur d’un collectionneur proposé auparavant.
Toulouse. À l’extérieur, rien a changé : la façade crème et brique de l’hôtel d’Assézat semble afficher le même visage depuis cinq siècles. À l’intérieur de ce joyau de la Renaissance, les visiteurs peuvent constater depuis le 2 février la transformation d’une collection particulière en un véritable parcours muséal. Après trois ans de travaux, la Fondation Bemberg s’offre bien plus qu’une mise à jour technique et muséographique : c’est un changement de positionnement auprès du public que permet le chantier mené par l’architecte Philippe Pumain, et la nouvelle directrice des lieux, Ana Debenedetti.
Murs aux tapisseries vert bouteille ou rouge écarlate, accrochage surchargé, le tout sans aucune médiation : la muséographie pensée lors de l’installation de la collection de Georges Bemberg (1915-2011) à Toulouse en 1995 était plus que datée. Avec ses period rooms, elle entretenait même une forme de confusion, laissant croire que l’on entrait ici chez le collectionneur argentin, alors que ce dernier n’avait pas vécu à Toulouse avant d’avoir le coup de foudre pour l’hôtel d’Assézat, l’écrin idéal pour sa collection. La Ville est toujours propriétaire de l’édifice dont elle met les murs à disposition de la fondation.
Pour Ana Debenedetti, l’abandon de ce modèle désuet est plus qu’une question de mode, il relève aussi d’un problème d’accessibilité : « Le musée doit être accessible, instructif, et l’idée est d’avoir un parcours clair, dans lequel le visiteur trouve ses marques », explique-t-elle. Dans les murs de l’hôtel du XVIe siècle, cette clarté se décline au propre comme au figuré. L’intervention architecturale, qui s’est faite par soustraction plus que par ajout, retrouve la lumière naturelle des fenêtres – masquées par la muséographie en tunnel des années 1990 –, perce des communications entre les salles pour fluidifier le cheminement. « Cela va jusqu’aux choix des couleurs des murs, pour lesquels nous avons privilégié des pigments naturels, véritables toiles de fond pour mieux mettre en valeur les œuvres », précise Ana Debenedetti.
L’accrochage lui aussi s’est construit en enlevant le superflu : des 700 œuvres auparavant présentées sur deux niveaux, 400 ont été retenues pour ce premier accrochage. Soutenue et encouragée par le conseil d’administration dans cet allégement, la conservatrice espère gagner en qualité de visite : moins montrer pour mieux voir, et laisser au visiteur la possibilité de s’arrêter sur chaque œuvre. Clarté toujours lorsqu’il s’agit des textes de salles, courts, imprimés sur de grands cartons se fondant dans la couleur des murs, soit l’essentiel pour contextualiser les œuvres, accessible en un coup d’œil.
Au premier étage, les collections d’art ancien sont organisées selon un voyage qui commence et s’achève à Venise. Paul Véronèse, le Titien, le Tintoret pour commencer, Giandomenico Tiepolo, Francesco Guardi, Canaletto pour finir. Peu de grands noms vénitiens ont échappé au collectionneur. Dans cette partie XVIe-XVIIIe siècles, le mélange entre peintures et mobilier offre une version allégée du cabinet de curiosités qui existait auparavant. Il est même enrichi de quelques pièces majeures, comme l’Armoire à folio de Bernard II Van Risen Burgh ou un grand meuble de l’ébéniste Thomas Hache.
Sur les murs, le goût sûr, mais un peu sage, de Georges Bemberg est dynamisé par de nouvelles acquisitions : un Saint-Sébastien de Mattia Preti y amène les ombres du baroque romain, et une paire de portraits allégoriques du caravagesque Nicolas Tournier ajoute un trouble mélancolique.
Les Arts décoratifs sont présentés sur un pied d’égalité avec des chefs-d’œuvre de la Renaissance, grâce à des vitrines retravaillées, et un chantier technique de gestion du climat permettant d’individualiser les conditions de conservation pour chaque type d’œuvre. Une solution préventive qui permet aussi de faire le point sur les matériaux et le processus de production des œuvres, point d’intérêt de Georges Bemberg dans la constitution de sa collection. Majoliques, bronzes, et horloges anciennes sont ainsi déclinés dans des vitrines organisées en podiums, à la mise en scène sobre et régulière.
La même atmosphère de calme règne au second étage, où se trouvent les œuvres modernes réunies par le collectionneur. L’homme de lettres argentin prisait les avant-gardes, mais dans leur expression la plus apaisée : quand il acquiert un Georges Braque, c’est une toile de sa première période aux lignes courbes et couleurs pastel, et lorsque les fauves se « radoucissent », il continue volontiers de les collectionner. Une belle cimaise décline ainsi l’évolution picturale de Raoul Dufy sur vingt-cinq ans. Ana Debenedetti a également créé une salle « Walter Sickert », dont la fondation conserve l’un des ensembles les plus important en France – auparavant éparpillé dans le musée. Pierre Bonnard ferme la marche, avec un petit musée dans le musée d’une trentaine d’œuvres, accrochées sur quelques cimaises en équerre qui rythment ces petits formats.
L’exercice du musée de collectionneur impose de valoriser des « lignes de forces » émanant des choix de Georges Bemberg : certains sont évidents, comme Venise, ou le portrait, grâce aux peintures nordiques de la Renaissance et celles de François Clouet. Pour le reste, c’est le regard de la conservatrice qui permet d’animer cette très belle collection, aux choix parfois convenus : organiser une forêt factice constituée de toiles sylvestres signées André Derain, Raoul Dufy et Maurice de Vlaminck amène ainsi un élément de surprise dans l’accrochage des peintures modernes. Avec ce nouveau parcours moins bourgeois et très muséal, la figure de ce collectionneur que tout le monde décrit comme « pudique » s’efface derrière ses œuvres.
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À Toulouse, la deuxième vie de la Fondation Bemberg
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°626 du 2 février 2024, avec le titre suivant : À Toulouse, la deuxième vie de la Fondation Bemberg