FRANCE
Créé en application de la loi relative à l’archéologie préventive du 17 janvier 2001, l’Inrap devra, selon son président, Dominique Garcia, adapter ses missions aux conséquences du dérèglement climatique et de l’agriculture intensive.
France. C’est la destruction des trois quarts d’un site gallo-romain par un aménageur qui est à l’origine de la naissance de l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap). L’affaire éclate à Rodez (Aveyron) en janvier 1997, alors que les fouilles archéologiques sont déléguées par le ministère de la Culture à une association de droit privé, l’Association pour les fouilles archéologiques nationales (Afan). Le scandale provoque la colère des archéologues, émeut la France, et déclenche le travail législatif qui aboutit quatre ans plus tard à la loi relative à l’archéologie préventive du 17 janvier 2001. L’Inrap est créé dans la foulée, sous la forme d’un établissement public à caractère administratif, héritant du mandat de l’Afan, dissoute.
« En vingt ans d’acquisitions de données en danger, l’archéologie préventive a montré sa capacité à mettre en œuvre la loi de 2001 sur le territoire français », souligne Dominique Garcia en forme de bilan, alors que l’Inrap entame sa troisième décennie d’existence. Pour le président de l’Inrap, la loi de 2001 a marqué un tournant dans la pratique de l’archéologie, en l’ouvrant à de nouveaux territoires et en intégrant la recherche scientifique aux fouilles.« Les fouilles du Louvre en 1983-1986, c’était encore de l’archéologie de sauvetage. Elles ont été conduites sur un grand espace, ont produit beaucoup de documentation, beaucoup d’objets. Mais ont-elles produit beaucoup de connaissances ? »
De la fouille de sauvetage à la fouille préventive, l’archéologie est devenue « opportuniste, selon les projets d’aménagement », comme le note Séverine Hurard, chargée de recherches à l’Inrap. La carte des 40 000 sites expertisés par l’Institut en vingt ans le démontre, à travers le tracé des grands chantiers d’aménagement, comme la ligne à grande vitesse Paris-Bordeaux ou les projets autoroutiers. En suivant les projets des aménageurs, l’archéologie préventive est sortie des grands centres urbains (Paris, Lyon, Marseille) pour se déployer en milieu rural et périurbain, apportant une nouvelle connaissance de l’occupation du territoire. Dominique Garcia n’hésite d’ailleurs pas à opposer la connaissance que livrent ces lieux d’occupation modestes à l’histoire véhiculée par le patrimoine « officiel » : « Sans cette documentation acquise, on aurait une histoire bâtie sur les sites sanctuarisés, le patrimoine Unesco, les monuments historiques, qui ne sont pas du tout le reflet de l’occupation du territoire. » Dans chacune des périodes traitées par l’Inrap, la démarche préventive a permis d’affiner la connaissance. Le haut Moyen Âge déconstruit son image d’âge sombre à mesure des découvertes sur l’intégration pacifique des vagues de migration, et sur le perfectionnement des techniques dans le domaine énergétique. L’âge de fer sort peu à peu du cliché forgé par La Guerre des Gaules de Jules César, l’époque gallo-romaine apparaît désormais plus diversifiée, plus intégrée, et plus riche que ce que les fouilles urbaines laissaient entrevoir.
Mais cette archéologie préventive n’est pas partout présente : en témoigne « la diagonale du vide », bien visible par le blanc qu’elle laisse sur la carte des actions de l’Inrap. « La carte est dense, mais elle a des biais, qui sont aussi des objectifs pour le futur : les zones boisées, agricoles, le littoral », relève le président de l’Inrap. Ces nouvelles frontières de l’archéologie préventive n’entrent pas dans le cadre législatif actuel, qui ne s’applique qu’aux projets d’aménagement du territoire. Dominique Garcia aimerait voir ce champ d’action s’étendre aux zones modifiées par l’action de l’agriculture – ou du dérèglement climatique. « Lorsqu’on arrache tous les pieds de vigne d’une exploitation dans le Languedoc, il n’y a pas de fouilles. L’Office national des forêts non plus ne fait pas d’archéologie » : ces activités agricoles mettent pourtant en péril des vestiges archéologiques, et peuvent s’apparenter à de véritables opérations d’aménagement du territoire.
Pour pouvoir traiter ces nouveaux espaces, le président de l’Inrap préconise un « aménagement » du principe « aménageur-payeur ». Comprendre : une augmentation de la redevance archéologique, que tout aménageur du territoire paye aujourd’hui à hauteur de 60 centimes d’euro du mètre carré pour financer les fouilles préventives. Cette augmentation permettrait le financement de fouilles programmées sur les littoraux grignotés par la montée des eaux, où les zones agricoles sont constamment altérées.
Avec la multiplication des projets d’éoliennes offshore et la prolifération des câbles sous-marins, l’archéologie préventive se doit également d’investir les mers. La technologie Lidar – une cartographie obtenue par l’envoi de signaux lasers depuis les airs – a déjà révolutionné l’archéologie terrestre, elle pourrait se révéler d’une aide tout aussi précieuse pour aborder l’espace maritime. « L’enjeu est d’affiner ces techniques, pour détecter des sites plus ténus, comme des sites paléolithiques immergés par la montée des mers, et pas seulement des épaves », indique Marc Bouiron, directeur scientifique de l’Inrap.
Sur terre, les réalités socio-économiques font également partie des défis à relever, même si, d’après Dominique Garcia, « la loi de 2001 est désormais rentrée dans les mœurs. Même pendant la crise, les préfets prescrivent les fouilles, les aménageurs font appel à [l’Inrap]».
Comme ailleurs, l’archéologie préventive d’État a dû composer avec l’arrivée d’une concurrence privée ; le président de l’Inrap estime à ce sujet que « le cadre concurrentiel est maintenant pacifié ». L’Institut a même regagné des parts sur le privé à la veille de cet anniversaire, en réalisant 60 % de l’activité du secteur.
Moins stable est le climat social de l’Inrap, qui a connu plusieurs grèves en 2021, et une première déjà en 2022, le 3 février à Nîmes. Le recours trop fréquent aux CDD et une grille salariale peu attractive pour des professionnels surdiplômés y sont dénoncés : un véritable sujet pour l’Institut, dont un tiers des effectifs partira à la retraite dans la décennie à venir. Dominique Garcia met en avant une revalorisation salariale « effective dès aujourd’hui » : assez pour attirer les archéologues de demain dans les champs et sur les mers ?
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L’Inrap, 20 ans d’âge, voudrait étendre son champ d’action
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°583 du 18 février 2022, avec le titre suivant : L’Inrap, 20 ans d’âge, voudrait étendre son champ d’action