Italie - Musée

Simone Verde : Directeur du Complexe monumental de la Pilotta à Parme

Le directeur de la Pilotta à Parme n'est pas à court d'idées

« Inaugurer un récit collectif et différent sur notre histoire européenne »

PARME / ITALIE

Défaire une vision héritée des XVIIIe et XIXe siècles, s’intéresser au regard d’un public d’origine étrangère sur les œuvres, permettre à des collections d’être reconstituées, renforcer la coopération culturelle entre pays… Le directeur de ce grand musée italien n’est pas à court d’idées pour construire ce nouveau récit.

Simone Verde. © Giovanni Hänninen
Simone Verde.
© Giovanni Hänninen

Diplômé de l’École du Louvre et doctorant en anthropologie des biens culturels à l’EHESS (École des hautes études en sciences sociales) de Paris, Simone Verde a travaillé au sein du Louvre-Abou Dhabi. À la tête depuis cinq ans de l’un des plus importants musées italiens, il s’est lancé dans un vaste chantier de rénovation de la Pilotta et de mise en valeur de ses collections.

Réduire leur empreinte carbone est une préoccupation croissante des musées. Qu’en est-il pour le Complexe monumental de la Pilotta que vous dirigez ?

C’est l’une de mes priorités. Nous venons de nouer un accord avec une entreprise de Parme très sensible également au sujet. Celui-ci permettra de planter en Éthiopie des arbres pour compenser nos émissions de CO2. C’est évidemment symbolique et il faut faire en sorte que l’engagement pour le climat ne soit pas juste une action de « greenwashing ». Je me suis lancé dans une rénovation des dispositifs de chauffage et de refroidissement du musée avec l’installation de filtres sur les vitres, mais aussi dans le remplacement des sources lumineuses halogènes par des LED, moins gourmandes en énergie. Mais ce ne sont pas les émissions de CO2 des institutions culturelles qui aggravent le plus lourdement la crise climatique actuelle. Ces institutions doivent évidemment lutter concrètement pour leur réduction et être exemplaires en la matière. Mais elles doivent surtout assumer leur rôle de contributeur au changement culturel en la matière en permettant d’abandonner cette vision héritée du XVIIIe et du XIXe siècle de l’Homme dominant la Nature pour assurer le progrès de l’humanité. Cette vision ne doit pas être promue par les musées comme cela a été trop souvent le cas au cours des deux derniers siècles. C’est ce qu’a rappelé récemment l’International Council of Museums (Icom, Conseil international des musées) : les musées doivent agir « à travers leurs collections, comme source d’information, comme éducateurs, facilitateurs, activistes et porte-parole, et comme utilisateurs des ressources naturelles. »

Peut-on parler d’échec de la démocratisation culturelle ?

Elle n’est plus du tout celle à laquelle nous étions habitués et préparés. La démocratisation culturelle des années 1950-1960 a été profondément bouleversée. Elle visait à permettre la rencontre de l’art avec des publics populaires qui n’en avaient pas l’habitude. Aujourd’hui l’exclusion sociale n’est pas uniquement économique mais repose sur des bases culturelles dans nos sociétés occidentales tiraillées par les questions identitaires. C’est le cas aussi de l’Italie qui est un pays d’immigration récente. Ces nouvelles populations ont le sentiment d’être négligées ou exclues par l’État. Tout l’enjeu est de les impliquer dans un processus de reconsidération de notre récit collectif plus que purement national. C’est difficile pour nos collections à Parme qui n’ont pas été constituées au XIXe siècle selon des critères encyclopédistes et positivistes d’une puissance coloniale. Nos collections sont essentiellement locales et italiennes. La ville est aujourd’hui multi-ethnique avec, dans les écoles, des élèves pour moitié originaires notamment d’Ukraine, du Maroc ou d’Égypte. Pour s’adresser à eux, il faut utiliser les outils scientifiques à notre disposition que sont l’Histoire globale ou encore l’anthropologie, qui a pris une place croissante dans la recherche en histoire de l’art. Nous avons ainsi organisé des visites du musée où les élèves d’origine étrangère sont amenés à exprimer ce qui les interpelle dans nos œuvres selon leur culture d’origine. C’est passionnant. Une Marocaine observant la lumière dans le Couronnement de la Vierge du Corrège nous a permis de mettre en évidence l’influence arabe en la matière à l’époque. Une jeune Philippine face à une toile représentant la naissance de Vénus nous a donné l’occasion d’établir des ponts avec la mythologie de cette région du monde.

La crise du Covid-19 a entravé les prêts entre les musées. Est-ce la fin des méga-rétrospectives auxquelles nous étions habitués ces dernières années ?

La priorité d’un musée, c’est de faire non des expositions mais de la recherche scientifique. Les expositions doivent servir à partager avec le public les résultats de la recherche scientifique et les changements muséographiques sur lesquels j’investis 3 millions d’euros en ce moment. C’est évidemment utile de créer une adhésion du public autour du patrimoine avec des expositions, mais il faut faire une distinction très nette entre cette partie « commerciale » du secteur et sa mission scientifique. On parle sans cesse de la notion de « durabilité ». Est-elle vraiment conciliable avec le déplacement des œuvres sur plusieurs milliers de kilomètres, ceci trop souvent à des fins purement commerciales ? Ce n’est également pas conciliable avec le contrôle de température nécessaire à la conservation des œuvres et leur préservation, toujours mise en danger par des déplacements trop fréquents. Il faut tirer les enseignements de la crise du Covid-19 et devenir plus éthique par rapport à ces habitudes.

Quelle est votre position sur l’actuel débat sur les restitutions d’œuvres d’art ?

C’est un devoir civil et public, bien qu’il faille juger au cas par cas. Si les œuvres ont été pillées pendant la période coloniale par exemple, il n’y a pas de débat et la restitution est nécessaire. Le discours néocolonialiste selon lequel elles seraient moins bien conservées et plus difficiles d’accès dans leur pays d’origine est inaudible. L’Unesco devrait prendre ses responsabilités pour favoriser l’exposition des œuvres qui seront restituées, mais les États occidentaux doivent eux aussi s’impliquer. Aider leurs anciennes colonies à mettre sur pied de solides institutions culturelles pourrait être une forme utile de compensation face aux expropriations du passé. Ce débat des restitutions se pose également en Europe. Il n’y a pas d’entité politique qui puisse voir le jour sans une vraie politique culturelle. Or nous ne menons pas de raisonnement sérieux sur un patrimoine européen, comme en témoignent les collections dispersées entre plusieurs pays, ou des œuvres dont les éléments se trouvent dans des musées différents. Tout cela empêche leur lisibilité. Cela concerne peu d’œuvres et pourrait faire l’objet d’un accord européen symbolique pour les recomposer ou redonner à des collections historiques leur unité. L’exemple le plus médiatique est celui du Parthénon. Un fragment qui se trouvait dans un musée archéologique en Sicile va être prêté pendant au moins quatre ans à Athènes. Puisque le mot « restitution » est trop délicat, parlons de « dépôt ». Cela peut donner lieu à un renforcement de la coopération culturelle entre les pays tout en permettant des recherches scientifiques sérieuses. Cela peut surtout inaugurer un récit collectif et partagé différent sur notre histoire européenne.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°589 du 13 mai 2022, avec le titre suivant : Simone Verde, directeur du Complexe monumental de la Pilotta à Parme : « Inaugurer un récit collectif et différent sur notre histoire européenne »

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