PARME / ITALIE
Le Complexe monumental de La Pilotta accueille une vaste exposition consacrée aux œuvres commandées par la famille dont était issu le pape Paul III. Plus de 300 objets venant des quatre coins du monde racontent une histoire globale.
Parme. La Renaissance italienne est l’une des périodes de l’histoire où l’art a le plus rimé avec « pouvoirs ». Un pluriel de rigueur dans une Péninsule fragmentée en une multitude d’États rivaux dirigés par des familles aristocratiques qui n’ont de cesse d’exalter ou de consolider leur puissance financière, leur domination culturelle et leur prestige politique. C’est sans conteste le cas des Farnèse, parmi les plus anciennes et illustres d’entre elles, originaires du Latium. Une lignée qui régna longtemps sur les duchés de Parme et de Plaisance tout en s’apparentant avec les plus grandes familles de la noblesse italienne (les Colonna, Aldobrandini, Médicis, Orsini Sforza…) et les dynasties régnantes européennes (Savoie, Bourbon, Habsbourg). Elle fournit aux armées de Venise, de Florence, de Sienne ou de Naples de nombreux condottieri ; et à l’Église, d’éminents évêques et cardinaux mais surtout un pape, Paul III (1468-1549). Un souverain pontife qui accumule des richesses ; elles lui permettent une formidable activité de mécénat mais avant tout une munificence au service de l’embellissement de ses somptueuses demeures regorgeant de chefs-d’œuvre. Ainsi de la villa de Caprarola ou du palais situé en plein cœur de Rome qui tous deux portent son prestigieux nom.
Vingt ans après la dernière exposition consacrée à la famille Farnèse, le Complexe monumental de la Pilotta, à Parme, interroge sa fulgurante ascension aux XVIe et XVIIe siècles. L’exposition sous-titrée « Architecture, art, pouvoir » démontre qu’une collection artistique n’est pas simplement le moyen d’assouvir une passion ou un outil de propagande, mais aussi un véritable instrument de légitimation. Au moment où la Maison Farnèse atteint l’apogée de sa puissance en hissant un de ses membres sur le trône de Pierre, les fondements théologiques et politiques de l’Église vacillent. En ce premier tiers du XVIe siècle, l’unité de la chrétienté d’Occident a volé en éclats à la suite de la Réforme protestante (1517) et du schisme anglican (1534). Les pirates de l’Empire ottoman frayent librement en Méditerranée tandis que ses guerriers ravagent les Balkans et que son sultan Soliman le Magnifique signe un traité avec le roi de France François Ier. Les lansquenets luthériens ont mis Rome à sac en 1527 et le séisme de la découverte des Amériques en 1492 produit une onde de choc qui fait trembler les valeurs morales de l’Occident ainsi que ses certitudes concernant la révélation biblique. Dans ces conditions, l’astre de la papauté semble éclipsé par l’étoile de Charles Quint à la tête d’un Empire sur lequel le soleil ne se couche jamais. N’est-ce pas lui et non Paul III le véritable pasteur des chrétiens ?
Un combat idéologique ne se gagne pas avec des soldats et les Farnèse alignent leurs trésors artistiques, ceux de pierre issus de leurs palais ou les pierres précieuses de leurs collections. La rétrospective présente plus de 300 œuvres provenant de collections publiques et privées, italiennes et européennes, l’exposition étant organisée en collaboration avec le Musée de Capodimonte et le Musée archéologique national de Naples, mais aussi les Archives d’État de Parme, l’ambassade de France en Italie ou encore la Fondation Arturo Toscanini. Parmi les œuvres exposées : vingt tableaux dont certains de Raphaël, Titien, du Greco et d’Annibal Carrache, un ensemble d’environ 200 dessins d’architecture du Cabinet des dessins et estampes de la Galerie des Offices de Florence ou de la collection d’arts graphiques de la Ville de Munich, mais aussi plus de 80 objets issus du cabinet de curiosités du Musée de Capodimonte avec le célèbre Coffre des Farnèse, ainsi que la Tasse Farnèse en provenance du Musée archéologique de Naples.
Le projet élaboré par le directeur du Complexe monumental de la Pilotta présente un double intérêt. Il permet d’abord d’admirer les efforts de relance du musée que Simone Verde dirige depuis 2017. La totalité de ses espaces ont été restaurés et réaménagés, le tirant de sa léthargie et de l’abandon dont il souffrait. Mais la particularité la plus importante réside dans une nouveauté du point de vue scientifique dans la Péninsule. À rebours d’un débat culturel italien autocentré et autoréférencé, l’exposition s’inscrit clairement dans le cadre de l’histoire globale et dans le sillage des études postcoloniales. La Renaissance est l’époque des grandes découvertes. Grâce aux navires qui traversent les océans, on bâtit des empires et on jette les bases des échanges commerciaux pour un monde globalisé. La collection Farnèse n’est ainsi pas uniquement composée de statues et camées antiques ou de monnaies et toiles européennes. Y figurent des objets venant des quatre coins d’un globe dont les limites ne cessent de se dilater. Le visiteur peut ainsi admirer des défenses africaines finement ciselées, des tasses japonaises ou des objets en bois d’Inde. Mais surtout, pour la première fois en Italie, grâce à un prêt du Musée des Amériques-Auch (Gers), est présenté le tableau La Messe de saint Grégoire [voir ill.], réalisé au Mexique par des Indiens d’Amérique. Un don pour remercier Paul III d’avoir émis la bulle Sublimis Deus qui reconnaissait l’humanité des Amérindiens et condamnait leur esclavage. Bulle dont l’originale a été prêtée par les Archives générales des Indes et que l’on peut observer à côté de cette toute première œuvre chrétienne d’Amérique – et probablement une des dernières productions de l’art aztèque.
Une collection artistique n’est pas un amas d’objets disparates. L’exposition sur celle des Farnèse ne se contente pas d’en aligner les pièces mais invite à une réflexion sur le message qu’elle véhicule et sur la mission que ses détenteurs lui ont astreinte. Une mission aussi bien politique que théologique pour légitimer leur pouvoir.
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Parme expose les collections de la famille Farnèse
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°587 du 15 avril 2022, avec le titre suivant : Parme expose les collections de la famille Farnèse