ROME
À qui appartiennent les bijoux de l’ancienne famille royale italienne ? Un procès s’est ouvert le 22 juin dernier.
C’est une question de légitimité qui est posée aux magistrats. Près de quatre-vingts ans après la chute de la monarchie, qui est le légitime propriétaire des bijoux royaux ? Les descendants de la maison de Savoie ou l’État italien ? Ils n’ont pas été perdus, n’ont pas été volés ou cachés mais ont été oubliés dans un caveau de la Banque d’Italie en plein cœur de Rome. C’est là que le dernier souverain, Humbert II, les fait déposer en juin 1946 avant de prendre le chemin de l’exil. Un trésor qu’il accompagne de ces quelques mots : « À rendre au propriétaire légitime. »
Depuis, le coffre qui contiendrait 26 parures serties de 6 000 diamants et 2 000 perles dont la valeur est estimée à 300 millions d’euros n’a été ouvert qu’une seule fois. En 1976, peu de temps avant la mort d’Humbert II (1904-1983), le parquet de Rome, répondant à une rumeur répandue dans la presse selon laquelle les joyaux auraient été dérobés, ordonne une vérification. Le joaillier Gianni Bulgari s’assure donc que le précieux dépôt demeure intact et à sa place. Ce trésor tombe ensuite dans l’oubli le plus complet. Il faut rappeler que les membres de la famille royale ont été bannis et que l’opprobre a été jeté sur la maison de Savoie. Victor-Emmanuel III, le souverain régnant au moment de la prise de pouvoir de Benito Mussolini en 1922, s’est en effet rendu coupable de complaisance avec le régime fasciste. Ses descendants n’ont eu le droit de remettre le pied sur le sol italien qu’en 2003.
À défaut de pouvoir remonter sur le trône, ils entendent remettre la main sur des bijoux qu’ils estiment leur revenir de droit. Pour le gouvernement, ce trésor royal appartient à l’État et donc au peuple italien. C’est la réponse adressée à l’avocat d’Emmanuel-Philibert de Savoie, petit-fils du dernier roi d’Italie, qui réclamait leur restitution. Face à l’échec de ces tractations, ce dernier a décidé de poursuivre en justice le président du Conseil, le ministre de l’Économie et la Banque d’Italie.
D’après certains experts, il est probable que ces colliers et diadèmes qui ont été portés par diverses princesses et reines pendant les quatre-vingt-cinq ans d’existence de la monarchie transalpine n’atteignent pas les sommes escomptées. Quel que soit le bénéfice que l’on puisse en tirer, certains estiment qu’il vaut mieux que les joyaux soient vendus pour remplir les caisses de l’État que restitués à des princes honnis pour qu’ils les exhibent dans des soirées mondaines. Pour le professeur Sabino Cassese, juriste, académicien et juge émérite de la Cour constitutionnelle, leur place n’est ni au cou d’une princesse, ni dans un caveau mais dans un musée national. Il se fait ainsi l’écho de la proposition de plusieurs intellectuels qui souhaiteraient que les joyaux fassent l’objet d’une exposition itinérante dans plusieurs palais royaux de la Péninsule. Ils pourraient échoir ensuite au palais du Quirinal, ancien palais des papes devenu palais royal puis résidence des présidents de la République. En 2006, Mario Draghi, l’actuel président du Conseil alors gouverneur de la Banque d’Italie, avait apporté un premier élément de réponse à la suite de l’interpellation d’un parlementaire demandant que les bijoux soient exposés à l’occasion des Jeux olympiques d’hiver de Turin. Une commission devait être rapidement instituée pour les faire sortir de leur caveau et statuer sur leur sort. Une promesse jamais maintenue.
Ironie de l’Histoire, ces joyaux n’appartiennent pas seulement à une Couronne déchue, la couronne en tant qu’objet est aussi virtuelle. La monarchie italienne ne dispose en effet pas des traditionnels insignes qui caractérisent les autres royautés. Pas de sceptre, de main de justice, et donc de couronne. Celle de fer des Lombards est une relique qui symbolise la royauté transalpine. Elle fut utilisée pour le couronnement de Napoléon comme roi d’Italie en 1805 avant d’être transférée à Vienne lors des guerres austro-piémontaises au mitan du XIXe siècle. Les rois d’Italie de la maison de Savoie obtinrent son rapatriement après l’unification de la Péninsule en 1861. Mais elle ne s’imposa jamais, sauf pour être présentée lors des funérailles des souverains. Les projets pour en créer une nouvelle n’aboutirent pas. L’État et les Savoie se disputent surtout des bijoux de famille.
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La maison de Savoie réclame ses bijoux à l’État italien
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°593 du 8 juillet 2022, avec le titre suivant : La maison de Savoie réclame ses bijoux à l’État italien