Collection

Art et banque

Les trésors artistiques des banques italiennes

Par Olivier Tosseri, correspondant en Italie · Le Journal des Arts

Le 5 septembre 2019 - 1379 mots

Toiles de grands maîtres ou tableaux d’artistes locaux, les réserves et les bureaux des banques de la Péninsule regorgent d’œuvres d’art rassemblées au fil des siècles. Les fusions qui ont créé de grands groupes bancaires ont donné naissance à des collections uniques. Si certaines sont valorisées, d’autres s’apprêtent à être vendues.

Banquier et mécène sont deux mots qui, longtemps, ont été synonymes dans la langue italienne. La Péninsule est le berceau, à la Renaissance, de la finance moderne et des beaux-arts. Un nom de famille évoque à lui seul l’intérêt pour la première doublé d’un goût sûr pour les seconds : Médicis. Le banquier Côme (1389-1464) soutient le sculpteur Donatello, les peintres Fra Angelico et Filippo Lippi ou l’architecte Filippo Brunelleschi. Son petit-fils, Laurent le Magnifique (1449-1492), protège Verrocchio, Léonard de Vinci, Botticelli ou Michel-Ange. Une tradition imitée et perpétuée par des lignées de banquiers, petits ou grands, dont les pièces qui composent le Trésor ne sont pas uniquement numéraires mais aussi artistiques. Tous les hommes d’argent ne sont pas des hommes de culture, mais à défaut d’aimer les œuvres, ils comprennent que les posséder constitue à la fois l’expression d’un statut symbolique et une valeur refuge idéale.

Les instituts de crédit de la Péninsule, quelle que soit leur dimension, les ont ainsi accumulées au fil des siècles et des achats, des donations ou des saisies pour se rembourser des dettes contractées par leurs clients. Au fond de leur réserve ou aux murs de leurs succursales, quelques toiles de grands maîtres côtoient surtout celles des artistes locaux, constituant des collections plus ou moins importantes et prestigieuses. Elles font toujours la fierté des banques du pays. À commencer par la plus ancienne au monde encore en activité, Monte dei Paschi di Siena, qui peut s’enorgueillir de détenir l’une des plus riches collections. Celle-ci remonte à 1481, neuf ans après la fondation de l’établissement. Pour célébrer l’événement, une fresque, la Madonna della Misericordia, est commandée à Benvenuto di Giovanni. L’activité de mécénat de la banque se poursuit aux XVIe et XVIIe siècles avec les décorations de ses palais confiée aux artistes siennois Arcangelo Salimbeni ou encore Francesco et Raffaello Vanni. Le collectionnisme prendra ensuite le pas au XIXe siècle pour enrichir un ensemble d’œuvres digne d’une pinacothèque. Elles sont plus de 30 000, entre livres, meubles, sculptures, tapisseries et tableaux. L’école siennoise du Trecento constitue le cœur d’une collection disséminée et exposée à 80 % dans les différents établissements et bureaux de la banque, le reste étant conservé dans ses dépôts. Elle aurait pu finir sur le marché, comme l’a craint la surintendance pour les biens culturels de la Ville de Sienne qui l’a finalement rendue inaliénable. La violente crise qui s’est abattue sur MPS, la menaçant de faillite, faisait peser le risque de sa dispersion. La banque préfère insister désormais sur sa valorisation, avec la mise en place d’un site Internet (www.mpsart.it) recensant toutes les œuvres en sa possession ainsi qu’une page Facebook et un compte Instagram pour constituer un véritable musée virtuel.

Le premier groupe bancaire du pays, Intesa Sanpaolo, préfère des musées bien réels au cœur des grandes villes. Il en a ouvert trois, dans le cadre du projet « Cultura », à l’intérieur de bâtiments prestigieux dont il est propriétaire. La première de ces « Gallerie d’Italia », inaugurée en 1999, se trouve au palazzo Leoni Montanari à Vicence, la seconde au palazzo Zevallos Stigliano à Naples depuis 2007, et la dernière à Milan, piazza della Scala, ouverte en 2011 dans les locaux de l’ancienne banque.

Intesa Sanpaolo, une collection de 30 000 pièces

Comme les autres grands groupes bancaires italiens, Intesa Sanpaolo s’est retrouvé propriétaire d’une vaste collection rassemblant celles des 250 instituts qui ont fusionné lors de sa création en 2007. Il a alors hérité de plus de 30 000 pièces datant du Ve siècle avant J.-C. à nos jours. La moitié environ de cet immense patrimoine composé d’objets archéologiques, de vases antiques grecs, d’icônes russes, de millions de documents d’archives depuis 1472 ainsi que d’un fonds de 300 000 photographies présente un véritable intérêt artistique et historique. Quelque3 500 pièces sont même d’indéniables chefs-d’œuvre, dont un millier est exposé au public parmi lesquels Le Martyr de sainte Ursule [voir illustration] du Caravage mais aussi des toiles de Tiepolo, de Rubens et de Canaletto.

La collection Intesa Sanpaolo s’est enrichie de l’une des plus importantes collections privées d’art contemporain à la suite d’une donation. Celle des frères Agrati, des industriels lombards, dont le dernier est mort en 2016. Ils avaient réuni 500 œuvres uniques d’Andy Warhol, de Jean-Michel Basquiat, Robert Rauschenberg, Christo, Lucio Fontana, Mario Schifano, Alberto Burri ou encore Fausto Melotti. Une collection pour la première fois exposée au public il y a tout juste un an à la Galleria d’Italia de Milan. « Investir dans la culture » n’est pas uniquement un slogan pour Intesa Sanpaolo, qui est l’unique banque à avoir mis en place une direction Art, culture et biens historiques, confiée à Michele Coppola. Un effort de valorisation du patrimoine qui va de pair avec celui de la préservation. « Restituzioni » est le nom d’un programme annuel de restauration (lire page suivante) lancé en 1989 en collaboration avec le ministère pour les Biens et Activités culturels afin de promouvoir la synergie entre le public et le privé.

UniCredit se désengage à marche forcée

Pour UniCredit en revanche, première banque d’Italie par ses actifs, sa collection d’art est un actif parmi d’autres. Jean-Pierre Mustier s’est lancé dans un vaste plan d’assainissement et de rationalisation du portefeuille de l’institut qu’il dirige depuis 2016. « Nous allons aussi développer notre activité de prêts sociaux et la financer en vendant une partie de la collection d’art de la banque », a-t-il annoncé en début d’année. Il n’aura que l’embarras du choix parmi les quelque 60 000 œuvres d’art qui pourraient être entièrement cédées d’ici à la fin de l’année, comme s’en inquiète la presse spécialisée italienne. La collection, dont un tiers est véritablement intéressant, a été prudemment estimée à 50 millions d’euros. Un chiffre qui pourrait être sensiblement revu à la hausse si certains de ses chefs-d’œuvre étaient mis aux enchères – ses deux Goya (La Marquise de Caballero et Doña María Teresa de Vallabriga) par exemple ou son Klimt (Les Nymphes. Poissons d’argent). Les pièces les plus anciennes remontent à l’époque mésopotamienne. Comme pour sa rivale Intesa Sanpaolo, la collection d’UniCredit tire son origine des différentes fusions opérées au sein du groupe depuis sa naissance en 2007, avec des banques italiennes bien sûr mais aussi des établissements étrangers comme l’allemande HVB ou l’autrichienne Bank Austria, qui détient l’une des plus belles collections européennes de photographie. Elles sont dans leur ensemble dispersées entre les bureaux du groupe et de ses filiales, dans des musées sous la forme de prêts, et enfin, pour une petite partie, dans les stocks.

Leur prochaine vente clôt une phase ouverte au début des années 2000 avec le projet « UniCredit & Art ». À l’époque, la banque était à l’avant-garde en la matière en ne se contentant pas d’une sponsorisation passive. Elle soutenait la création des jeunes artistes et nouait des partenariats avec des musées et des universités. Une commission scientifique de cinq membres issus du monde de la culture, et non de la finance, avait même été créée pour garantir la sélection des œuvres et leur exposition. Sous son impulsion, outre l’enrichissement des collections grâce à un budget qui lui était alloué, des expositions internationales sont montées à Vienne, Istanbul, Moscou mais aussi autour de jeunes artistes sortant de l’Académie des beaux-arts de Brera à Milan, accompagnées de l’édition de catalogues par UniCredit. Cette dernière collaborait en outre avec les musées d’art contemporain MAMbo à Bologne et Maxxi à Rome et fut à l’origine de la première collection institutionnelle privée italienne de photographie. L’art ne fait plus partie de ses priorités. Le « Pavilion » [voir ill.], le lieu conçu en 2015 non loin du siège de la Banque pour accueillir conférences, concerts et expositions, a été vendu pour y installer des bureaux et commerces. Un désengagement brutal du domaine culturel alors que la banque est en bonne santé financière. Les établissements en difficulté pourraient être incités à se séparer de leurs bijoux de famille artistiques. Comme le disait le ministre de l’Économie de Silvio Berlusconi, « on ne mange pas avec la culture ».

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°528 du 6 septembre 2019, avec le titre suivant : Les trésors artistiques des banques italiennes

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