Gestion de patrimoine ou aventure collective ? Les collections d’art, vecteurs de communication en externe et sources d’idées nouvelles en interne, stimulent la créativité et la convivialité des entreprises.
A l’image d’un marché français de l’art encore étroit, les collections artistiques constituées par des entreprises sont encore peu nombreuses dans l’Hexagone, moins d’une vingtaine si l’on s’en tient aux plus ambitieuses, malgré une fiscalité attractive. Alors que certaines firmes américaines ou allemandes se sont lancées dans l’accumulation de dizaines de milliers d’œuvres à l’instar de la Deutsche Bank qui en compte 53 000 exposées dans une quarantaine de pays, les sociétés françaises sont parties dans l’aventure souvent timidement, rarement avec cette vision stratégique et patrimoniale caractéristique d’établissements financiers étrangers comme UBS. Cela est d’autant plus étonnant que les banques et les assurances font partie, avec le luxe et les nouvelles technologiques, des principaux collectionneurs d’art en France.
Art et entreprise : le cas Renault
Les tensions et tabous, qui ont longtemps assombri les relations entre le monde de l’entreprise et celui de l’art, expliquent probablement cette frilosité, contrairement aux États-Unis où « c’est avant tout le marché qui fait de l’argent avec l’art », comme le soulignent l’économiste Karine Lisbonne et le galeriste Bernard Zürcher dans leur ouvrage L’art avec pertes ou profit ? (lire L’œil n° 592). « La France est en retard en matière de collections d’entreprise, car le mécénat y est historiquement public », constate Bernard Zürcher, à l’initiative d’un centre d’art, au sein de HEC, destiné à sensibiliser les managers de demain à la culture. De fait, les plus importantes collections européennes se sont développées dans des pays où l’État est moins présent, qu’il s’agisse de la coopérative Migros (commerce de détail) en Suisse ou du groupe Lhoist (producteur de chaux et de dolomite) en Belgique.
Alors qu’aux États-Unis, l’histoire des collections d’art commence avec celle de la publicité, dans l’Hexagone, jusqu’aux années 1980, les artistes se montrent parfois réticents à collaborer avec les entreprises. Pourtant, dès 1967, Renault ouvre la voie. Le projet proposé par Claude-Louis Renard au président de la firme au losange ne vise pas d’emblée la constitution d’une collection, mais plutôt le rapprochement de l’art et de l’industrie. Les Trente Glorieuses y sont propices, inspirant des artistes du « mouvement » tels Vasarely ou Tinguely qui construisent leurs œuvres cinétiques à partir d’éléments usinés. Arman édifie les Accumulations Renault avec des moteurs neufs, Dubuffet réalise à l’aide de nouvelles peintures synthétiques le Mur bleu, Jean-Pierre Raynaud produit Rouge Vert Jaune Bleu, sculpture monumentale composée de Renault 4.
En 1973, le leader automobile multiplie les commandes pour son siège du quai du Point du Jour, puis pour son centre technique de Rueil-Malmaison, permettant à un nombre croissant de salariés de bénéficier de ce décor arty et high-tech. Dans les années 1980, une conjoncture économique difficile et un changement de direction mettent fin à l’engagement artistique de Renault : Claude-Louis Renard crée une association pour prolonger autrement cette action et propose à une quarantaine d’artistes de leur restituer leurs œuvres.
Point de départ : la commande
Généralement, la collaboration entre l’entreprise et l’artiste se matérialise par une commande qui, peu à peu, fait germer l’idée d’une collection. La fondation Cartier est née en réaction aux incessantes contrefaçons dont le joaillier était victime. « Je m’intéressais à l’art contemporain, j’ai songé aux artistes, démunis face aux faussaires. J’ai travaillé à une fondation pour protéger la propriété intellectuelle et artistique », rappelle Alain Dominique Perrin, à l’occasion des 20 ans de la fondation en 2004. César confie alors au président de Cartier International que les artistes ont surtout besoin d’un lieu d’exposition libre et « différent » pour monter des projets hors normes. À Jouy-en-Josas, la fondation Cartier commence avec un budget de 3 millions d’euros. Jamais une entreprise privée n’a donné autant à l’art contemporain en France. Afin de convaincre ses actionnaires, Alain Dominique Perrin ne crée pas de dépenses supplémentaires, mais assimile ce budget à de la publicité pour son groupe et ponctionne la communication, les relations publiques, le marketing.
En emménageant par la suite dans l’immeuble imaginé par Jean Nouvel à Paris, la fondation abandonne les résidences d’artistes, mais multiplie les commandes. Sa collection réunit aujourd’hui plus de mille œuvres de 360 artistes internationaux, dont des pièces majeures d’Artschwager, de Matthew Barney, de Panamarenko, comme des créations étonnantes, en dehors du marché, choisies par un collège « qui n’appartient pas à un clergé culturel »…
Ricard, Colas, Clément, Blachère, Pommery, CMA-CGM, Neuflize ou LVMH… La passion d’un dirigeant est souvent à l’origine de la démarche artistique d’une entreprise. Mais on parle aujourd’hui de « choix » du président, plus de « danseuse ». Grâce notamment à la loi sur le mécénat incitant à présenter les œuvres au public pour bénéficier de défiscalisation, le plaisir se diffuse, en interne avec le personnel, en externe avec les clients et fournisseurs. Partager un moment artistique flatte. Des entreprises vont jusqu’à créer des galeries d’art au sein de leur siège social : Bloomberg à Londres, Clément à la Martinique, Blachère à Apt. La banque Caixa a ouvert un centre culturel à Barcelone, la coopérative Migros affecte 154 000 euros par an d’achats pour son museum de Zurich, LVMH construit un écrin à l’architecture spectaculaire conçue par Frank Gehry pour sa fondation. Les firmes ayant des collections réputées les font tourner également dans des musées, tels Cartier, UBS, Deutsche Bank, ou encore dans des manifestations prestigieuses, de la Documenta de Kassel à la Biennale de Venise, afin de consolider leur rayonnement à l’international.
L’image de la marque
Car le message s’est désormais professionnalisé : il s’agit de véhiculer l’image d’une entreprise citoyenne, multiculturelle et surtout innovante. Chez Cartier, les articles sur sa fondation représentent le quart de toute la presse consacrée au groupe. « Soutenir des artistes émergents, « in progress », c’est manifester sa capacité à prendre des risques », note Bernard Zürcher. « La présence de la gigantesque sculpture dans le hall d’entrée du siège de la Société générale à La Défense exprime clairement un message de sérieux, de puissance, destiné à impressionner les visiteurs », renchérit Isabelle Zigliara de l’Admical, l’association pour la promotion du mécénat en France. C’est pourquoi les directions de la communication elles-mêmes préconisent parfois un engagement artistique fort : c’est le cas pour la fondation HSBC.
Mettre en œuvre une collection, c’est aussi se lancer dans l’exploration d’un nouveau monde, se ressourcer en puisant d’autres énergies. L’art a ainsi permis au belge Lhoist de renouveler le regard porté sur son patrimoine industriel. En une quinzaine d’années, le producteur de chaux a passé commande de plusieurs milliers d’ensembles photographiques « revisitant » ses usines, dans l’espoir de changer le regard hostile de groupes de pression environnementaux. Le couple de photographes allemands Becher, en particulier, a élevé au rang d’architectures contemporaines les hauts fourneaux, suscitant de la fierté chez les ouvriers. Le personnel peut choisir les œuvres qui orneront son espace de travail. Jusqu’aux photographies des sites industriels qui animent les écrans de veille des ordinateurs…
La fondation Bernardaud, engagée dans un plan pluriannuel qui mobilise 1 % du chiffre d’affaires, sollicite régulièrement des artistes jeunes ou déjà connus comme Sophie Calle, pour réaliser des pièces uniques en porcelaine. « Ce matériau est méconnu et semble désuet. Ces créateurs lui ouvrent bien d’autres horizons que les seuls arts de la table », s’enthousiasme Hélène Huret, directrice de la fondation. À Limoges, les ouvriers très expérimentés de la manufacture relèvent les challenges inédits imposés par les artistes, découvrant des usages inattendus de cet or blanc : bijoux, ameublement, sculpture… Occasionnellement, une pièce est éditée et commercialisée. L’art fait office de tête chercheuse et l’entreprise expose dans son showroom une collection chaque année plus inattendue (une trentaine de pièces).
Une dérive ? Ce mécénat « opérationnel », qui s’apparente presque à de la recherche-développement, tout en étant extrêmement intéressant pour les artistes eux-mêmes, est à méditer selon Éric Mézan, directeur d’Art Process, conseil dans le domaine de l’art. « Car la collection est un modèle qui risque d’être questionné dans les mois qui viennent du fait de la crise ; l’acquisition d’œuvres sera probablement délaissée au profit de projets artistiques offrant davantage de retour à l’entreprise, s’articulant mieux avec sa stratégie globale. »
Néanmoins, sous une forme ou une autre, l’art qui a ces dernières années envahi l’entreprise, en quête d’une aventure humaine collective des temps modernes, ne devrait pas la quitter de sitôt.
Une législation attractive pour l’achat d’œuvres d’artistes vivants
La loi du 1er août 2003 modifie le dispositif de l’article 238 bis du code des impôts. Elle prévoit une réduction de l’impôt société égale à 60 % des dons faits par une entreprise à sa fondation, dans la limite de 0,5 % du chiffre d’affaires hors taxe.
L’article 238 bis AB est applicable aux dépenses d’acquisition d’une œuvre originale d’artiste vivant. Cet achat, inscrit dans un compte d’actif immobilisé, permet à l’entreprise de déduire de son résultat une somme égale au prix d’acquisition, en étalant cette déduction sur cinq exercices, à raison de 20 % par an. Ces sommes sont déductibles dans la limite de 0,5 % du chiffre d’affaires hors taxe. Pour bénéficier de cet avantage fiscal, les œuvres doivent être exposées au public et ne doivent pas être cédées pendant cinq années.
La fondation Clément en Martinique : par amour de l’art et d’un territoire
Par amour de l’art et de sa terre natale, la Martinique, Bernard Hayot, président du groupe de distribution GBH, a imaginé la fondation Clément pour donner une visibilité aux artistes de la Caraïbe, oubliés des galeristes. GBH a acquis environ 150 œuvres d’artistes martiniquais et caraïbes depuis 2005. La collection est gérée et mise en valeur par la fondation Clément. Cette dernière produit une saison annuelle d’expositions, coédite des monographies d’artistes, propose des résidences, constitue des collections documentaires. Principal outil de mécénat de Clément, producteur de rhum, filiale du groupe, la fondation tisse des liens entre les milieux intellectuel, artistique et économique.
200 000 euros par an
« Le soutien à l’art contemporain complète un engagement de 20 ans dans la valorisation du patrimoine : en 1986 le groupe a acquis cette maison de rhum centenaire et son habitation créole. Cette demeure de maîtres et ses dépendances, Bernard Hayot les a transformées en galeries visitées par 80 000 personnes par an. L’an dernier, la cuverie s’est métamorphosée à son tour en salle d’exposition permanente de 300 mètres carrés, accueillant aussi des installations », note Florent Plasse, responsable de la fondation, qui dispose d’un budget de fonctionnement de 200 000 euros par an.
À l’automne dernier, la fondation, avec l’aide de Cultures France, a organisé un vaste colloque sur l’art dans la Caraïbe en présence d’artistes, galeristes, dirigeants de musées afin de réfléchir à sa promotion, notamment en préambule de l’événement « Kréyol Factory » à la Villette d’avril à juillet 2009.
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L’art en prise avec l’entreprise
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Abonnez-vous dès 1 €Blachère : quand l’art africain débarque à Apt
Collectionneur à titre personnel et pour son groupe basé à Apt et spécialisé dans les illuminations urbaines, Jean-Paul Blachère a créé la fondation éponyme pour faire de sa société une « citoyenne du monde dans lequel elle évolue ». La fondation ne constitue pas de collection, c’est l’entreprise qui s’en charge, mais elle organise des workshops, des résidences, et participe aux grandes biennales d’art sur le continent africain afin de sélectionner une dizaine d’artistes invités à exposer dans son centre d’art chaque année. Son objet est de promouvoir des artistes africains en Europe.
Vivre avec les artistes, une tradition
Pourquoi une fondation ? « Juridiquement, son autonomie lui assure une pérennité, après la mort même du fondateur. L’aspect fiscal est secondaire dans le choix, bien qu’important dans les moments de restriction budgétaire. Le jour où la fondation s’arrête, sa collection sera léguée à un musée puisqu’il s’agit d’une œuvre d’intérêt public », souligne Christine Blachère, directrice marketing.
Chacun des employés vit avec les œuvres de la collection disséminées aussi bien dans les ateliers de fabrication que dans les bureaux, devant les hangars ou dans les jardins. « C’est une tradition chez nous de vivre avec les artistes. L’adhésion du personnel est d’autant plus naturelle que nous exerçons un métier à bien des égards artistique. Et les créateurs africains par leur manière de positiver, leur créativité parfois décalée, nous apportent beaucoup. »
Le budget provient d’une subvention de Blachère, des revenus de sa boutique « équitable », et bientôt de son Kfé Galerie (ouverture en mai) ; il s’élève à 250 000 euros par an. Celui alloué aux achats des œuvres de la collection d’entreprise varie selon les décisions des actionnaires : 200 œuvres ont été acquises depuis plus de dix ans. La démarche est jugée originale par les clients et les fournisseurs qui parfois entrent dans l’aventure.
Et à l’étranger
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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°611 du 1 mars 2009, avec le titre suivant : L’art en prise avec l’entreprise