Mécénat

Le mécénat culturel s'enracine

Par Jean-Christophe Castelain · Le Journal des Arts

Le 29 janvier 2013 - 1346 mots

Le développement spectaculaire du mécénat depuis la loi de 2003 pose de nombreuses questions, dont la plus critique : cela peut-il durer ?

Juin 2012, branle-bas de combat, Bercy envisage de réduire l’avantage fiscal du mécénat. Discrètement encouragée par Aurélie Filippetti dont c’est la première épreuve, toute la communauté des directeurs de musées, mécènes, agences de communication culturelle se mobilise avec le soutien à peine masqué de la presse qui rend compte largement de l’affaire. Finalement le ministère des Finances recule et Aurélie Filippetti parvient, en montrant sa détermination, à faire oublier sa déclaration désastreuse sur le mécénat de Wendel au Centre Pompidou Metz en décembre 2011.

Un développement spectaculaire
Pourquoi une telle mobilisation de part et d’autre ? Parce que les sommes en jeu sont devenues conséquentes. Depuis la loi du 1er août 2003, les montants défiscalisés par les entreprises ont été multipliés par plus de sept, passant de 90 millions d’euros en 2004 à 700 millions (montant estimé) en 2012. On comprend que les inspecteurs des finances de Bercy s’agacent de cet argent qui échappe à l’impôt sur les sociétés (IS) puisqu’il est directement déduit par les entreprises de leur IS. D’autant qu’il n’y a pas que le mécénat au titre de l’article 238 bis-1 du code général des impôts qui leur échappe, s’y ajoutent de nombreuses autres niches fiscales, dont la déduction des dons des particuliers, pour un total de 1,989 milliard d’euros. Et cela ne va pas s’arrêter puisque selon le projet de loi finances 2013 (PLF 2013), le total des dépenses fiscales est évalué à 2,205 milliards d’euros, soit une hausse de 11 % en un an. À titre de comparaison, les recettes estimées par la fameuse taxation à 75 % des hauts revenus s’élevaient à 200 millions d’euros. De l’autre côté, celui des bénéficiaires des dons, les sommes sont plus importantes encore (les mécènes réduisant 60 % à 90 % de leurs dons), plus de 3 milliards d’euros pour 2012. L’Admical, une association qui soutient le mécénat des entreprises, avance même d’autres chiffres pour l’année 2011 : 1,9 milliard d’euros de mécénat des entreprises à comparer aux 959 millions d’euros que l’on peut inférer des chiffres de Bercy. Cet écart du simple au double s’explique d’abord par la méthode : Bercy fournit les chiffres réels provenant des liasses fiscales des entreprises, tandis que l’Admical procède par sondage. Par ailleurs, nombre d’entreprises qui donnent de l’argent au titre du mécénat ne profitent pas forcément de l’avantage fiscal.

Si l’on dimensionne à peu près bien le mécénat en général, le mécénat culturel est plus difficile à évaluer. Selon l’Admical, il représentait 26 % du mécénat des entreprises en 2011. Mais là aussi se pose un problème de méthodologie dans la mesure où il est difficile d’attribuer le mécénat croisé, entre la culture et le social par exemple. Mais si on retient ce taux de 26 %, le mécénat culturel en provenance des entreprises se situe entre 280 millions d’euros (Bercy) et 494 millions d’euros (Admical). Les musées, eux, seraient bénéficiaires à hauteur de 57 millions d’euros, selon le dernier Palmarès des musées du Journal des Arts.

Bercy... et tous les autres
Voilà pour les chiffres. Maintenant comment expliquer cette progression constante et l’importance des sommes en jeu ? Tout simplement, parce qu’à part Bercy, tout le monde y trouve son compte. La loi de 2003, la suite logique des lois précédentes qui ont élargi progressivement les bénéficiaires et assoupli les règles d’application, a su parler au portefeuille des entreprises. Celle-ci ont vu la possibilité de déduire 60 % de leurs dons (90 % pour l’acquisition) tout en obtenant environ 25 % de contreparties sous forme de privatisation des lieux, de billets d’entrées ou de présence sur la communication des bénéficiaires. En sachant habilement tirer parti de ces contreparties, de nombreuses entreprises s’offrent ainsi une campagne de publicité aux frais du contribuable. Cette vision cynique du mécénat n’est évidemment pas partagée par tous, de nombreuses entreprises dépensent beaucoup plus que ce qu’elles récupèrent et sont animées par un véritable esprit de générosité. D’autres, ce sont parfois les mêmes, abondent un fonds de dotation, laissant celui-ci seul sur le devant de la scène. C’est le cas du fonds INPACT créé en mars 2012 et présidé par Philippe Vayssettes de Neuflize OBC, un mécène historique. Grâce aux 2,2 millions d’euros apportés par une dizaine de personnes physiques ou morales, le fonds a déjà financé une dizaine d’associations œuvrant au croisement de la culture et de la cohésion sociale.

Autre différence avec une dépense publicitaire traditionnelle, les versements au titre du mécénat ne bénéficient qu’à « l’intérêt général », (une notion un peu vague, il faut bien l’admettre). Le mécénat culturel, lui, est porté par le formidable engouement du public pour les expositions, dont les plus grandes sont largement médiatisées et donc intéressantes en terme de communication. Et puis la culture, c’est moderne et valorisant. Ce sont autant de facteurs positifs pour des directeurs de communication à la recherche d’innovations publicitaires. De leur côté, confrontés à une érosion de leurs subventions, musées et monuments historiques, pour ne parler que d’eux, y ont vu un moyen de diversifier leurs recettes commerciales. Ils se sont mieux organisés pour prospecter les entreprises, le ministère a renforcé sa mission mécénat, et maintenant les villes et les chambres de commerce constituent des services ad hoc pour mutualiser les besoins et démarcher les entreprises. Les arguments sont de plus en plus rodés, les supports qui les portent de plus en plus professionnels, bref le message passe bien, même s’il y a encore du chemin à parcourir avant que toutes les entreprises connaissent parfaitement le dispositif.

Un possible effet de ciseaux
Nécessité faisant loi même le milieu culturel accepte l’argent du privé. Mieux, il l’espère. C’est d’ailleurs amusant de relire les articles au moment de la première loi sur le mécénat de 1987, puis lors de la loi Musée de 2002 dans son volet fiscal et enfin à l’occasion des débats de la loi de 2003. Commentateurs et acteurs culturels stigmatisaient la « caravane publicitaire », vilipendaient les conservateurs qui « vendaient leur âme au diable » ou critiquaient le « dévoiement des expositions sponsorisées ». Un signe, parmi d’autres, qui ne trompe pas sur la place du mécénat dans le financement du public : en 2013 l’État compte deux fois plus sur le mécénat pour enrichir les collections publiques (17,7 millions d’euros) que sur ses propres crédits de paiement qui ont atteint un niveau historiquement bas (8,5 millions d’euros). Jusqu’où ira le recours au mécénat d’entreprise ? Si on extrapole la courbe, le milliard de montant défiscalisé devrait être atteint en 2015.

Insupportable pour le ministère des Finances dont on peut supposer qu’il reviendra à la charge pour réduire le taux de déduction si la croissance ne revient pas d’ici là. Or le gouvernement s’est engagé à réduire son déficit public de 4,5 % en 2012 à 1,3 % en 2015. La crise économique crée un effet de ciseaux redoutable pour le mécénat. Plus elle s’aggrave, plus le recours au mécénat s’impose, mais dans le même temps les entreprises elles-mêmes en difficulté vont réduire leurs dons. Un autre facteur, indépendant de la situation économique vient par ailleurs compliquer les règles du jeu. Si tout le monde prospecte tout le monde – en clair si tous les organismes culturels se mettent à prospecter entreprises et particuliers –, les coûts de démarchage vont exploser. Une dépense pour espérer des recettes qui ne viennent pas toujours ? Les tutelles ne vont pas aimer ! Fort heureusement, il existe des gisements encore peu explorés. Celui des PME entre 50 et 500 salariés, elles sont près de 30 000. Au fond se dessinent deux formes de mécénat : le mécénat « fiscal » qui va prospérer tant que l’avantage reste attractif et le mécénat de projet, celui qui se porte sur un programme ambitieux, inédit, créatif qui embarque toute l’entreprise mécène.

Légende photo

Remise de l'Oscar Jacques Rigaud du mécénat culturel, organisé par l'Admical, le 13 novembre 2012 à Neuflize-OBC et Neuflize-VIE. (Jacques Rigaud est décédé en décembre 2012) © ; Photo : Jjb/Admical.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°384 du 1 février 2013, avec le titre suivant : Le mécénat culturel s'enracine

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