Organiser le mécénat territorial

Le Journal des Arts

Le 30 janvier 2013 - 1205 mots

Dans le sillage des chambres de commerce et d’industrie qui sont pratiquement toutes dotées d’un correspondant mécénat, les villes mettent en place des cellules spécialisées.

À voir aujourd’hui l’engouement des collectivités territoriales, conseils généraux et municipalités en tête, on aurait peine à imaginer le chemin parcouru depuis 2003. En l’espace de dix ans, penser le mécénat en termes de territorialité est devenu (presque) normal pour les collectivités territoriales et les acteurs publics, malgré les réticences, le manque d’information et les entraves « philosophiques » que cela comporte. En réalité, ce n’est que vers 2006-2007 que la notion de mécénat de proximité émerge et commence à interpeller les pouvoirs publics locaux et territoriaux.

En 2003, lorsque la mission mécénat est créée par l’État, elle a pour objectif de coordonner et de professionnaliser l’action du ministère de la Culture et de diffuser l’information sur les nouvelles dispositions fiscales et législatives de la loi : un travail de défrichage et de pédagogie au niveau national. Sur le terrain, les Drac (direction régionale des affaires culturelles) sont alors chargées de créer des correspondants mécénats qui impulseront la ligne nationale au niveau local. Mais sans réels moyens et sans formation adéquate, ces correspondants se limitent bien souvent aux rôles de conseils, et l’efficacité des correspondants varie en fonction des Drac, des initiatives spontanées et des difficultés propres à chaque territoire.

Le réseau des chambres de commerce et d’industrie
Dans le Guide du mécénat culturel territorial (1), Véronique Cottenceau chargée de la communication et du mécénat à la Drac Languedoc-Roussillon évoque « une barrière idéologique ». « La crainte de l’ingérence, quoiqu’un peu dépassée, plane encore. La méconnaissance de la loi et de la démarche mécénat, la fiscalité et son application, l’aspect technique […] sont autant d’inconnues fragilisantes. On note surtout un manque de postes dédiés à la recherche du mécénat. » Ce constat s’observe dans nombre de Drac où le correspondant mécénat est bien souvent en charge d’autres dossiers.

En 2005, l’État décide de soutenir les politiques territoriales en matière de mécénat d’entreprise en prenant appui sur le réseau des chambres de commerce et d’industrie (CCI). Une charte pour le développement du mécénat est signée entre le ministère de la Culture et l’Assemblée des chambres françaises de commerce et d’industrie (ACFCI), renforcée en 2010 par une deuxième charte. Le système des correspondants mécénats des Drac est incité à voir le jour dans les CCI. En 2010, 75 correspondants ont été nommés sur les quelque 127 CCI territoriales (CCIT) ; aujourd’hui pratiquement toutes les CCI se sont dotées d’un tel poste.

Mais les faiblesses d’un tel système résident dans le degré d’application ou non de la politique d’incitation en faveur du mécénat, variable pour chaque territoire. Les régions de l’ouest, en particulier la Bretagne, se sont ainsi emparées du sujet de manière volontaire. En 2008, la CCIT Rennes-Bretagne a signé avec la Drac Bretagne une convention territoriale, un accord sur papier concrétisé en 2009 par la création d’un Pôle mécénat Bretagne chargé de mettre en lien les porteurs de projets et les entreprises mécènes. Cette synergie des moyens n’est pas la norme, loin s’en faut, ce sont bien souvent des initiatives isolées et des moyens artisanaux qui mènent aux actions de mécénat.

La mission mécénat de Reims
Ce déficit a poussé un autre acteur territorial sur le pont de la recherche de mécénat : la ville. « L’échelle d’une ville est pertinente pour la recherche de financement et le mécénat de proximité, le réseau en interne de la collectivité, ses agents qui travaillent au sein des différentes directions avec les entreprises sont des ressources en interne essentielles », soutient Laura Exposito del Rio, responsable de la Mission mécénat de la Ville de Reims. Cette mission, créée en septembre 2010, est pionnière en son genre : à l’occasion du 800e anniversaire de la cathédrale de Reims, elle a réussi à lever près de 300 000 euros en l’espace de six mois pour cofinancer la mise en lumière de l’édifice. La volonté de la maire de Reims Adeline Hazan a beaucoup joué dans la création de la mission, son caractère pérenne et son intégration dans les différentes directions, notamment financière et culturelle. « Avant même de trouver de l’argent, nous avons  sensibilisé très fortement en interne pour présenter la mission. La mission n’agit pas que pour elle-même, elle est aussi un pôle-ressources pour les associations et les institutions culturelles », explique Laura Exposito del Rio. Une des particularités de Reims est que la mission est aujourd’hui intégrée dans la direction générale, et non dans une direction spécialisée, avec quatre agents dédiés.

Poser clairement les règles du jeu
Le poste de chargé de mécénat n’est pas prévu dans l’organigramme d’une collectivité, et la rentrée d’argent privé dans les lignes budgétaires publiques est également une nouveauté. « Le premier chantier a été de constituer un cadre juridique et fiscal : installer clairement des lignes comptables, un suivi juridique avec des émissions de reçus fiscaux. Tout cela prend beaucoup de temps », souligne Delphine Valette, responsable mécénat à la direction des affaires culturelles de la ville de Cannes. À Cannes, le choix a été fait de se tourner en premier lieu vers la recherche de mécénat auprès des particuliers et à nouveau auprès des entreprises, comme c’est le cas à Reims. « L’attachement au patrimoine est très fort et déclenche des envies, certaines communautés sont très concernées, nous commençons à peine le « démarchage » des entreprises », note la responsable. La restauration d’une collection d’art perse au Musée de la Castre a ainsi bénéficié du fort soutien de la communauté iranienne. Au Havre, une tout autre méthode a été employée. Au sein de la direction « des marges de manœuvres », le service des financements extérieurs a été associé au mécénat en 2009. « Il s’agit d’affiner les sources de financements et optimiser les dépenses. L’idée était de passer du mécénat d’opportunité à un mécénat organisé : mettre en produit tout ce qui pouvait relever de la loi sur le mécénat en allant proposer aux entreprises un catalogue d’actions et de projets à la taille de toutes les entreprises », explique Christophe Allonier en charge du mécénat au Havre. En procédant de cette manière, le service a levé près d’un million d’euros depuis 2010.

Depuis un an, la mission mécénat de la ville de Reims est sollicitée par d’autres collectivités intéressées par la perspective de créer une mission dédiée : « Nous leur disons à chaque fois la même chose : il faut que le discours politique soit clair, que les objectifs soient définis à l’avance. Le mécénat ne doit pas être un palliatif des aides publiques : il faut chercher les retombées dans l’immatériel, le lien social et les réseaux créés », insiste Laura Exposito del Rio. La demande est de plus en plus forte au niveau des municipalités, la professionnalisation des chargés de mécénat est en cours dans un domaine où les compétences se doivent d’être multiples : communication, fiscalité, déontologie, culture… Des profils qui sont encore rares dans un paysage en plein développement.

Notes

(1) Guide du mécénat culturel territorial – Diversifier les ressources pour l’art et la culture, sous la direction de Jean-Pascal Quilès et Marianne Camus-Bouziane, 2012, éd. Territoire, Observatoire des politiques culturelles

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°384 du 1 février 2013, avec le titre suivant : Organiser le mécénat territorial

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