La collection d’entreprise n’est par définition pas coupée de la vie économique et politique de sa société. Il faut se battre en permanence, reconnaissent même les responsables du mécénat.
Quelle pérennité pour les collections d’entreprise ? Les œuvres sont-elles aliénables ? Oui, à la différence des institutions muséographiques. Certaines pièces de la fondation Cartier, par exemple, peuvent être cédées pour permettre d’en acquérir d’autres. Mais la création de fondations, qu’elles soient d’entreprise ou sous égide de la Fondation de France, contribue à pérenniser les actions de mécénat : lorsqu’une collection est acquise par une fondation, cette dernière étant constituée pour cinq ans minimum et assortie d’un programme pluriannuel budgété, le fonds se trouve davantage « sécurisé ». Alain Dupont, patron de Colas durant vingt ans, a opté pour une fondation afin d’éviter que la collection de son groupe, entièrement consacrée à la route, ne puisse être dispersée. De même, si un jour un dirigeant de Cartier décide de supprimer la fondation, il ne pourra vendre la collection, laquelle reviendra à la Fondation de France.
À l’inverse, des collections appartenant directement à des entreprises et non à des fondations ont été dispersées après un changement d’actionnaire, une restructuration, une stratégie repensée. En 2003, la collection Seagram, forte de 2 500 œuvres, dont un tableau de Rothko, une sculpture de Rodin, un rideau de scène de Picasso, a fait l’objet de plusieurs ventes, après que le groupe canadien eut passé sous la coupe de Vivendi, alors très endetté, et « soucieux de se débarrasser de ses actifs non stratégiques ». L’irlandais Jefferson Smurfit, racheté par l’américain Madison Dearborn Company, a dû se débarrasser d’une partie de ses acquisitions.
Alcatel-Lucent soutient la photo et l’art vidéo, à travers l’organisation de quatre ou cinq expositions par an au siège, donnant lieu à l’achat d’une ou deux œuvres. Véronique de Fournoux, responsable mécénat, reconnaît qu’il faut « se battre en permanence » pour ce fonds financé par la communication, riche d’une quarantaine de pièces. « Ce n’est ni un acquis, ni une priorité. »
Crise financière : les collections d’entreprise dans la tempête ?
Dépression internationale oblige, des firmes pourraient être tentées de céder leur collection afin de récupérer un peu d’oxygène. La compagnie aérienne Alitalia, en dépôt de bilan l’été dernier, met en vente les 163 pièces de sa collection qui ornaient jusqu’à présent ses bureaux, lounges VIP et appareils. Elle se sépare de Dalí, De Chirico, Balla…
D’autres « corporate collections » risquent d’entrer dans une phase de repli ou d’attentisme comme celles des banques. Ce secteur ébranlé par la crise pourrait s’interroger sur l’intérêt patrimonial de ses investissements artistiques. La cession est d’autant plus tentante que ce patrimoine mobilier, inscrit à l’actif du bilan, s’est apprécié ces dernières années au rythme des records de l’art contemporain, surtout lorsque les entreprises se sont appuyées sur les conseils d’experts.
En 1995, sous le marteau de Sotheby’s, IBM avait ainsi lâché des tableaux latino-américains, pour plus de 8 millions de dollars et trois ans plus tard le Reader’s Digest obtenait plus de 86 millions de dollars pour ses œuvres impressionnistes et modernes. En 2002 c’est chez Christie’s à New York que l’assureur israélien Phoenix récoltait près de 20 millions de dollars pour des pièces contemporaines.
La collection traverse parfois avec succès les turbulences qui secouent l’entreprise. UBS a renforcé sa collection après la reprise de la société de courtage américain PaineWebber, elle-même détentrice de fabuleuses œuvres de Pop Art. Le rapprochement des collections de ABN-AMRO, NSMD et NSM-Vie a été institutionnalisé par le lancement d’une fondation d’entreprise devenue Neuflize OBC, destinée à favoriser le rayonnement de la photographie. La Caisse des dépôts et consignations, confrontée à la gestion, à la conservation de sa collection, a préféré quant à elle céder ses œuvres au musée d’Art moderne de Saint-Étienne et au Centre Pompidou, estimant que la vocation d’un mécène n’est « pas tant d’accumuler que d’initier », pour ensuite offrir à la collectivité ce patrimoine commun.
La photo, vecteur de communication de HSBC
La photo fait partie du paysage culturel de HSBC France. Dès le début du siècle dernier l’établissement financier, intéressé par l’image, aide Louis Gaumont et Pathé Photo Cinéma à produire leurs films. Aujourd’hui cette politique est menée par la fondation HSBC pour la photographie, créée en 1995, sous l’égide de la Fondation de France. Sa collection s’est constituée « par défaut ». Depuis 1987, l’entreprise (alors CCF) confie à des photojournalistes de renom l’illustration de ses rapports annuels”†; Depardon, Salgado et Marc Riboud… Avec son intégration dans le groupe HSBC en 2000, la commande s’étend aux brochures, aux événements spéciaux, aux affiches. « La photo est devenue pour nous un élément différenciant de communication, une habitude de travail », précise Chantal Nedjib. À la tête d’une équipe de 35 personnes, la directrice de la communication, également déléguée générale de la fondation, y voit une vraie cohérence en termes d’image. « Nous sommes une banque très relationnelle, nous souhaitons analyser notre époque, comme la photo, qui est en outre un langage universel. » HSBC France détient un « fonds » de 412 photographies réalisées par 58 auteurs, et exposé au siège.
Un prix annuel remis à deux photographes
La fondation accompagne chaque année deux photographes peu connus. « 600 à 800 dossiers nous parviennent. Un conseiller artistique reconnu, jamais le même – Christian Caujolle, Robert Delpire… – en sélectionne une douzaine. Les lauréats sont ensuite choisis par la direction, assistée de personnalités qualifiées tels Patrick de Carolis, Zoé Valdés, Andrée Putman », précise Chantal Nedjib. Un ouvrage est réalisé pour chacun des lauréats, de même qu’une exposition en France et à l’étranger. HSBC acquiert six œuvres minimum de ces heureux élus, pour un montant total de 5 000 euros. « Nous disposons de 300 000 euros par an pour l’organisation des prix ; la dépense d’acquisition est prise en charge par le budget communication et reste inférieure à 50 000 euros par an. »
La collection Colas prend la route
La route, simple ruban d’asphalte ? Colas, groupe international de BTP, prouve le contraire via sa collection, qui résulte exclusivement de commandes. Chaque année, une quinzaine d’artistes, sélectionnés sur dossier, ont carte blanche pour exprimer leur vision de la route, aujourd’hui et demain. « Il s’agit de magnifier cette dernière, source éternelle d’échanges, de libertés, de rencontres », livre le président de la fondation et ancien PDG de Colas, Alain Dupont. À en juger par la diversité des 210 œuvres produites, propriétés de la fondation Colas, le thème inspire en effet ! Et renouvelle du même coup, le regard des collaborateurs du groupe sur leur métier. La collection se veut un trait d’union, un outil de cohésion interne ; elle tourne énormément, en France comme à l’étranger, « pour éviter que les directeurs ne s’approprient certains tableaux ! », ironise Alain Dupont. Des expositions sont également organisées « hors les murs ». Les artistes ont six mois pour parcourir les chantiers et réaliser leur œuvre. Le budget annuel de la fondation s’élève à 200 000 euros dont 90 000 environ pour les acquisitions. « La commande implique une prise de risque que la fondation assume pleinement : le résultat n’est jamais garanti », note Alain Dupont. Mais justement, pour Frédéric Chappey, maître de conférences en histoire de l’art contemporain à l’université de Lille, « la force de cette collection résulte de son refus du conformisme ».
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L’art at work : durable ou aliénable ?
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Abonnez-vous dès 1 €La Société générale implique ses 150 000 salariés
Les 200 œuvres originales acquises par la banque française, les 700 sérigraphies, lithographies, estampes, irriguent ses locaux partout dans le monde. Conçue « pour habiller les espaces de vie des collaborateurs », la collection est le prétexte d’une politique dynamique envers le personnel : visites guidées, conférences dans l’auditorium (Philippe Cognée, Elizabeth Couturier dernièrement), trophée interne de photographie, journée dédiée à l’art, pédagogie via des articles et des mini-vidéos sur l’intranet pour les 150 000 salariés. Des séminaires en interne ayant pour thème l’innovation, prennent appui également sur l’art !
Un budget d’un million d’euros
« Les gens vivent avec. Quand l’éléphant de Barry Flanagan a été prêté, beaucoup l’ont réclamé ! », constate Angélique Aubert, responsable du mécénat artistique. Avec les actionnaires, la démarche n’a jamais fait débat non plus. Depuis 2000 la collection devient aussi un levier de communication externe et s’expose dans les musées, en région et même en Europe. « Être acteur de l’art contemporain véhicule une image de culture ouverte et permet de dialoguer autrement avec nos partenaires. Investir des lieux institutionnels à l’étranger appuie notre positionnement international », poursuit Angélique Aubert.
Pas question de revendre la collection qui s’enrichit d’une douzaine d’œuvres par an (Philippe Ramette, Pascal Pinaud, Stéphane Couturier, Olivier Debré…). Pour la troisième tour que vient d’investir la Société générale à La Défense, de nouvelles œuvres en provenance de scènes émergentes (Chine, Afrique, Europe de l’Est…) ont été achetées. Le budget d’un million d’euros n’a pas été remis en cause avec la crise, mais simplement étalé sur 3-4 ans. « Le but n’est pas spéculatif, mais on estime de temps à autre la collection à cause des assurances. Nous avons néanmoins des pièces de valeur tel un Soulages acquis en 1995 : le même a été vendu récemment 1,3 million d’euros chez Sotheby’s », constate Angélique Aubert.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°611 du 1 mars 2009, avec le titre suivant : L’art at work : durable ou aliénable ?