PARIS
Alain Seban (59 ans) a présidé le Centre Pompidou de 2007 à 2015 avant de rejoindre son corps d’origine, le Conseil d’État.
Polytechnicien, énarque, diplômé de Sciences Po, il connaît particulièrement bien le secteur de la culture, il a notamment été le conseiller Éducation et Culture de Jacques Chirac alors président de la République.
Je n’en sais pas plus que ce que je lis dans la presse : le personnel est inquiet de ce qu’il va devenir pendant la fermeture et à la réouverture, et se dit « qu’on lui prépare un mauvais coup ». Il est vrai que chacun garde à l’esprit qu’on avait tenté de profiter de la fermeture pour travaux du Centre entre 1997 et 2000 pour externaliser la sécurité. Mais les salariés se sont mis en grève quelques jours en menaçant stratégiquement de bloquer la réouverture le 1er janvier 2000 et le projet, qui était, je crois, une idée du directeur général, a été mise sous le boisseau. Jean-Jacques Aillagon a pu rouvrir le Centre profondément transformé à la suite de travaux qui étaient indispensables.
En partie. Les agents d’accueil, les agents de sécurité sont des contractuels propres au Centre Pompidou. Les fonctions de sécurité et de surveillance des salles sont confiées à des catégories d’agents différentes, et les agents de sécurité incendie ne relèvent pas, comme dans les autres musées nationaux parisiens, de la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris qui sont, eux, des militaires qui ne se mettent jamais en grève. Il suffit qu’un ou deux pompiers et quelques autres agents se mettent en grève pour que le Centre soit fermé et que l’on renvoie chez eux les autres agents, tandis qu’une caisse de grève permet d’indemniser les grévistes. Cela dit, je me permets de vous faire observer que sous ma présidence, après la grande et compréhensible grève de 2009 liée à l’application de coupes brutales dans les emplois, le Centre n’a plus connu, jusqu’à mon départ en 2015, un seul jour de fermeture pour raison de grève.
Quand je suis arrivé à sa présidence en 2007, le Centre avait connu deux grandes vagues de travaux, mais aucune n’avait permis de traiter les problèmes qui ne se voient pas, comme la performance énergétique (le Centre est classé en « G », la plus mauvaise note en la matière), le renouvellement de certains dispositifs comme la chenille et le désamiantage. J’ai pu faire une première tranche de travaux qui a consisté à remplacer le système de climatisation, c’est-à-dire les centrales de traitement d’air qui se trouvent sur le toit et en sous-sol, et installer des pompes à chaleur beaucoup plus performantes qui permettent de réduire la facture d’énergie. Nous avons effectué ces travaux, sans fermer le Centre. Il est vrai que cela concerne des espaces qui ne sont pas ouverts au public Au fil des années, une partie des façades extérieures vitrées ont été progressivement renouvelées. J’ai ensuite pris la décision de remplacer « la chenille », là aussi sans fermer le Centre, ce qui était l’opération la plus complexe, et mon successeur, Serge Lasvignes, l’a parfaitement menée à bien en maintenant le Centre ouvert. Reste donc aujourd’hui le désamiantage que l’on n’avait pas pu planifier à l’époque en raison du coût, qui était estimé autour de 230 millions d’euros, si ma mémoire est bonne.
Je voudrais commencer par rappeler qu’il n’y a pas d’amiante friable pouvant entraîner des poussières d’amiante, donc il n’y a aucun risque pour le personnel et les visiteurs. Il y a de l’amiante principalement dans trois endroits. D’une part, dans les « boîtes de mélange », qui sont des éléments de la taille d’une grosse boîte à chaussures, qui servent à mélanger les flux d’air froid et chaud de manière à obtenir la température et l’humidité qu’on souhaite à l’emplacement désiré. Il y en a environ 500 dans les plafonds. Il faut donc fermer la salle où elles se trouvent, isoler la zone, installer un échafaudage et les remplacer par un système similaire plus moderne. Il est tout à fait possible de procéder à ces remplacements en site ouvert.
Ensuite, il y a ce qu’on appelle les clapets coupe-feu qui sont des éléments amiantés qui se situent au niveau des passages de gaines électriques ou de canalisations entre deux compartiments-feu. Il faut les remplacer un à un, on sait le faire mais il y en a des centaines, voire des milliers. C’est un gros travail, mais là aussi on peut le faire par rotation de manière à garder le Centre ouvert.
Enfin, il y a les façades vitrées, qui sont en double vitrage et comportent des joints amiantés. Là encore, nous jugions possible de les remplacer sans fermer le Centre et le fait est qu’on remplace très régulièrement des éléments lorsqu’ils viennent à être brisés.
En tout cas, je me serais attaché aux grilles du ministère de la Culture s’il l’avait fallu afin de garder le bâtiment ouvert pour faire ces travaux pendant ma présidence ! C’est évidemment plus long, plus cher d’environ 15 %, ce n’est pas agréable pour le personnel et les visiteurs, car ces travaux sont incommodants. Mais au total, les inconvénients sont moindres que pour une fermeture complète. À la réouverture en 2000, après les deux ans de travaux, on estime que le Centre avait perdu 1 million de visiteurs. Certes la chenille était entrée « sous douane » [accès payant, NDLR], mais c’est énorme. On a alors changé les statistiques du nombre de visiteurs, comptabilisant notamment les entrées du personnel via ce qu’on appelle le « bloc H », afin de masquer cette perte. J’ai décidé d’arrêter de donner ce chiffre qui n’avait guère de sens. On a également profité de ces travaux pour remplacer la cantine du personnel par le restaurant Le Georges.
Je ne sais pas. La seule chose que je peux dire, c’est que lorsque j’avais travaillé sur ce dossier, mes collaborateurs m’avaient assuré de la possibilité de maintenir le Centre ouvert pour faire les travaux dont j’ai parlé. Il y a peut-être d’autres travaux que je ne connais pas qui restent à faire, d’autres considérations qui entrent en ligne de compte… Il y a un vrai besoin de transparence sur ce sujet, car pour l’instant personne ne comprend cette fermeture et elle alimente tous les fantasmes sur de possibles motifs cachés.
L’utilisation du parking des bus que promeut, je crois, l’actuel président du Centre est une très bonne idée. Je ne suis pas certain qu’elle soit à la mesure des enjeux. Pourquoi ne pas partir d’un principe simple : sortir du bâtiment de Piano et Rogers tout ce qui n’est pas ouvert au grand public ? À la Bibliothèque publique d’information (BPI), ce sont les bureaux des responsables de collections qui occupent un bon tiers d’un plateau, soit environ 2 000 m². On peut aussi déplacer à l’extérieur la bibliothèque Kandinsky qui n’est ouverte qu’aux chercheurs et le cabinet d’art graphique. Il y aurait un endroit parfait pour cela : le bel immeuble que possède l’établissement et qu’occupent les bureaux de la BPI à côté de la fontaine Stravinsky. On pourrait même le relier au Centre par une passerelle ! Je suis sûr que Renzo Piano imaginerait une solution très élégante.
C’est une maison « bienveillante », les rapports avec les collègues sont amicaux. J’ai l’impression d’y faire un travail utile et la variété des dossiers est incroyable et très stimulante.
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Alain Seban : « Je me serais attaché aux grilles du ministère pour qu’on garde le bâtiment ouvert »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°620 du 3 novembre 2023, avec le titre suivant : Alain Seban : « Je me serais attaché aux grilles du ministère pour qu’on garde le bâtiment ouvert »