Art contemporain

Yayoi Kusama, le « pois » de l’enfance

Par Philippe Piguet · L'ŒIL

Le 16 novembre 2011 - 746 mots

PARIS

C’est une petite rétrospective, mais une rétrospective tout de même, et la première en France, que le Centre Pompidou présente de l’artiste japonaise entrée en peinture, enfant, à la suite d’une hallucination.

Au commencement, il y eut une hallucination. Alors que certains artistes n’osent avouer ce qui est à l’origine du principe de création qui les anime, Yayoi Kusama l’a toujours proclamé : tout repose sur un souvenir d’enfance, un souvenir qui n’a jamais cessé de la hanter, de l’obséder. « Un jour, après avoir vu, sur la table, la nappe au motif de fleurettes rouges, j’ai porté mon regard vers le plafond. Là, partout, sur la surface de la vitre comme sur celle de la poutre, s’étendaient les formes des fleurettes rouges. Toute la pièce, tout mon corps, tout l’univers en seront pleins ; moi-même je m’acheminais vers l’auto-anéantissement, vers un retour, vers une réduction, dans l’absolu de l’espace et dans l’infini du temps éternel […]. Je fus saisie de stupeur […]. Peindre était la seule façon de me garder en vie, ou à l’inverse était une fièvre qui m’acculait […]. »

Précieuses, ces paroles de l’artiste le sont tout autant que celles de Kandinsky relatant dans Regards sur le passé le soir où il découvrit dans son atelier une de ses toiles accrochée à l’envers et comprit que le sujet « nuisait à sa peinture ». Kusama fit elle aussi une expérience déterminante qui la conduisit non seulement au choix de la peinture, mais à un parti pris esthétique singulier. Que l’exposition du Centre Pompidou y trouve là matière à introduction en offrant au regard du visiteur une sorte d’installation en forme d’illustration aux propos de l’artiste ne manque pas de renforcer encore plus le mythe. Les vicissitudes de la vie de Yayoi Kusama contribuent aussi à l’excéder.

Le syndrome Louise Bourgeois
Née en 1929 à Matsumoto au Japon, l’artiste s’installe à New York en 1958. Si ce n’est que tardivement qu’elle réussit à imposer son art psychosomatique, c’est qu’elle ne cesse de représenter ces hallucinations qui la poursuivent depuis son enfance, et que la critique est proprement décontenancée par son côté marginal. En fait, Kusama est victime du même syndrome qui avait frappé Louise Bourgeois : trop d’affect dans le travail, trop de revendication féminine et trop d’envie de liberté.

Mais, comme le montre fort bien l’exposition parisienne, l’œuvre est là avec ses audaces, ses inventions plastiques, ses propositions subversives et ses contradictions. À l’univers aux relents surréalistes de ses débuts, à ses explorations monochromes de Filets infinis, à ses Accumulations et Sculptures douces recouvertes de phallus en tissu coloré font suite, dans les années 1960, toutes sortes de performances et d’environnements qui actent un sens inné du spectacle et de la mise en espace au service d’un engagement souvent libertaire.

Autoproclamée « prêtresse des pois », elle va de manière quasi obsessionnelle en faire le prétexte d’une esthétique invasive à laquelle sont associés tant la forme phallique que certains éléments liés à l’alimentation. La vision qu’elle a du monde relève d’une pensée cosmogonique élémentaire, festive et fantasmatique qui renvoie sans cesse à cette hallucination du temps de son enfance. « Le pois a la forme du soleil, il signifie énergie masculine, source de la vie. Le pois a la forme de la lune, il symbolise le principe féminin de la reproduction et de la croissance. Les pois suggèrent la multiplication à l’infini. Notre terre n’est qu’un pois parmi des millions d’autres… », dit-elle encore. Comme pour mieux certifier son appartenance à un monde idéal et différent qui l’a conduite à choisir de vivre et de travailler dans un hôpital psychiatrique privé depuis 1977.

Autour de l’art et le jouet

Informations pratiques. « Yayoi Kusama » jusqu’au 9 janvier 2012. Musée national d’art moderne – Centre Pompidou. Tous les jours de 11 h à 21 h sauf le mardi. Tarifs : 12 et 9 € – 10 et 8 € selon périodes.
www.centrepompidou.fr

Le jardin de Matali Crasset à Beaubourg. Dans la Galerie des enfants du Centre Pompidou, la designer Matali Crasset, interviewée en page 58, a conçu un espace mi-naturel mi-urbain destiné à être façonné par les visiteurs au cours de l’exposition. À partir de structures végétales simples, elle invite enfants et adultes à investir ce jardin primitif et à le faire évoluer. Dans son monde, la visite au musée devient une exploration ludique et une expérience créative. « Le Blobterre de Matali », jusqu’au 5 mars 2012 au Centre Pompidou. www.centrepompidou.fr

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°641 du 1 décembre 2011, avec le titre suivant : Yayoi Kusama, le « pois » de l’enfance

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