NEW YORK / ÉTATS-UNIS
La vie culturelle et associative dépend pour une large part de la générosité des plus aisés et des galas de levée de fonds, lesquels font progressivement leur retour.
New York. Le New York Times l’a décrit comme semblable à « une vitrine de pâtisserie, à un assortiment de mignardises aux formes plus fantaisistes les unes que les autres ». De loin, l’extravagance de certaines des coiffes arborées par les participants du célèbre « déjeuner des chapeaux » de Central Park pouvait en effet prêter à confusion. Ce rendez-vous mondain a réuni le 18 mai plus de 920 membres de l’élite new-yorkaise et permis de lever au total plus de 2,8 millions de dollars (2,3 M€) pour la gestion et la programmation culturelle du plus grand parc de la ville. C’était le premier gala de charité à se tenir physiquement à New York depuis le début de la pandémie.
« C’est comme un nouveau bal des débutantes pour nous tous, une bonne excuse pour mettre de vraies chaussures et se maquiller », commente ce jour-là, radieuse, Coco Kopelman, philanthrope et épouse d’Arie L. Kopelman, ancien président de Chanel. « Je me sentais un peu comme une extraterrestre en marchant dans la rue pour venir ici, parce que l’on était habitués à porter des leggings, des couleurs sombres et des baskets », poursuit-elle. Le même enthousiasme était palpable le 3 juin au jardin botanique de New York qui organisait lui aussi son premier gala « physique » depuis plus d’un an et inaugurait par la même occasion une exposition de l’artiste japonaise Yayoi Kusama.
Le Central Park Conservancy et le New York Botanical Garden, tout comme la plupart des musées, universités, bibliothèques, orchestres et institutions artistiques aux États-Unis, ont en commun d’être des « nonprofit », des organisations privées à but non lucratif. Celles-ci tirent l’essentiel de leurs revenus de la philanthropie, qui remédie à l’absence d’un État social et interventionniste par la contribution volontaire des plus aisés. Le secteur culturel repose pour une large part sur ces financements privés.
Cette pratique est aussi vieille que la nation américaine elle-même : « Partout où, à la tête d’une entreprise nouvelle, vous voyez en France le gouvernement […], comptez que vous apercevrez aux États-Unis une association », observait déjà Alexis de Tocqueville en 1831. « Historiquement, c’est un élan révolutionnaire, commente Guillaume Kientz, directeur de la Hispanic Society Museum & Library. C’est la prise en main des enjeux collectifs par les individus eux-mêmes. » Le système, selon lui, a cette vertu qu’il permet à« la société civile d’être beaucoup plus investie dans la gouvernance des institutions culturelles ».
Le modèle philanthropique américain surprend souvent les Européens qui l’approchent pour la première fois. « On y voit des organisations et des individus qui ont beaucoup d’argent se substituer à l’État, mais c’est une culture différente, où il ne s’agit pas seulement d’argent », explique Bénédicte de Montlaur, présidente du World Monuments Fund (WMF), qui protège et restaure des sites patrimoniaux menacés partout dans le monde. « Au cœur de l’organisation, le plus important, c’est la mission. Moi je ne demande d’argent à personne : je propose aux gens de participer à un projet extraordinaire, qui les intéresse ».
Marie-Monique Steckel, 82 ans, infatigable présidente du French Institute Alliance française (FIAF) qui regroupe un centre de langues, un grand théâtre de 360 places et une galerie, est aussi de cet avis : « Le secret, c’est la passion pour la mission. » C’est ce qui permet de lever les sommes nécessaires au fonctionnement de l’institution :« Quand tu vas voir quelqu’un, c’est cette passion qui explose face à l’autre. Tu transmets de l’intangible. » Cela demande aussi de la patience : « La levée de fonds, c’est un investissement sur le très long terme. Au fur et à mesure, tu discutes, tu écoutes et tu rencontres des gens au hasard d’un cocktail ou d’un dîner. Ce sont des relations qui prennent du temps, comme l’amitié. »
Ceux qui désirent contribuer rejoignent parfois le conseil d’administration de l’organisation (le « board ») et en deviennent les administrateurs (les « trustees ») en échange de la promesse d’un engagement important. « Ils donnent énormément de leur temps, de leur argent et de leurs réseaux », commente Bénédicte de Montlaur, qui ajoute : « Être membre du board, c’est un vrai métier, c’est participer à la gouvernance de l’organisation, s’impliquer pour la faire connaître auprès de sa communauté. » Cet investissement repose sur un pacte fondamental : « Le “give back” : ici, quand on a réussi professionnellement, on doit rendre en s’engageant pour les causes auxquelles on croit, en donnant son temps et son argent. »
En 2020, les dons des États-Uniens aux différentes organisations ont totalisé la somme record de 471,4 milliards de dollars (397 milliards d’euros), soit près de 2,2 % du PIB du pays. Le pacte, cependant, est aujourd’hui largement critiqué, notamment en raison de l’explosion des inégalités : « Rendre ne suffit pas », écrivait en 2015 Darren Walker, président de la puissante Ford Foundation, dans le New York Times. Cela pousse certains à donner davantage et différemment. Mackenzie Scott, ex-épouse de Jeff Bezos, patron d’Amazon, a ainsi annoncé le 16 juin distribuer plus de 2,74 milliards de dollars (2,3 Md) de dons à quelque 286 organisations, dont 60 institutions culturelles « représentant des groupes que les donateurs négligent souvent ». À bon entendeur.
Réinventer les galas
« Au début, s’il y a bien une chose qui ne me manquait pas, c’était les galas », confie Kathryn Wylde, présidente du Partnership for New York City, une organisation qui réunit près de 300 chefs d’entreprise investissant dans les infrastructures, l’éducation et les services publics de la ville, « et puis je me suis rendu compte que c’est là qu’on obtient toutes les informations utiles et que l’on développe ses relations. Les gens baissent la garde, ils disent des choses qu’ils ne diraient jamais sur Zoom ». Le gala, « c’est le point fort, commente Bénédicte de Montlaur. Il a deux finalités : lever de l’argent et renforcer la communauté ». En 2020, il a fallu s’adapter et« innover ». Comme d’autres, le WMF a opté pour un gala en ligne : « Nous avons proposé un tour du monde de nos chantiers en douze heures, beaucoup ont trouvé ça mieux que le gala classique. » Les recettes ont été au rendez-vous, notamment en raison de moindres coûts d’organisation, mais aussi parce qu’« il y a eu un élan pendant le Covid, tout le monde s’est montré solidaire ». Au French Institute Alliance française aussi, le gala s’est déroulé en ligne. Les convives ont reçu chez eux un dîner complet, qu’ils ont pu partager en regardant le spectacle filmé en direct depuis le théâtre : « On a voulu mettre en scène une certaine imagination, souligne Marie-Monique Steckel. On a fait le gala chez les gens. » Pour l’automne, le WMF prévoit un format hybride : « Il s’agit de conserver ce que le numérique a eu de positif, en particulier la mise en valeur accrue de nos contenus, tout en réintégrant une dimension physique, indispensable pour créer une communauté »,détaille Bénédicte de Montlaur. Le Metropolitan Museum of Art, à New York, qui l’avait annulé en 2020, a d’ores et déjà prévu de scinder en deux son célèbre gala, pour éviter le format en ligne. Une réception« plus intime »aura donc d’abord lieu le 13 septembre avant un retour de la formule habituelle le 2 mai 2022.
Barthélemy Glama, correspondant à New York
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À New York, la philanthropie reprend ses marques
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°571 du 9 juillet 2021, avec le titre suivant : À New York, la philanthropie reprend ses marques