Bénédicte de Montlaur dirige depuis avril 2015 à New York les services culturels
de l’ambassade de France aux États-Unis.
Diplomate de carrière, Bénédicte de Montlaur dirige depuis avril 2015 les services culturels de l’ambassade de France aux États-Unis. Spécialiste du monde arabe, elle a été responsable de la sous-direction d’Afrique du Nord au ministère des Affaires étrangères. Elle a enseigné la diplomatie et les questions internationales à l’École normale supérieure dont elle est par ailleurs diplômée.
Jean-Marc Ayrault, ministre des Affaires étrangères, a dit à plusieurs reprises que la « diplomatie culturelle » était « au cœur de son action ». En quoi cela consiste-t-il aujourd’hui ?
Il s’agit de promouvoir le meilleur de la créativité française à l’étranger. Notre action aux États-Unis est particulière, car le pays est prescripteur dans de nombreux domaines : l’art contemporain et le cinéma, bien évidemment, mais aussi l’édition et toutes les industries culturelles et créatives. Il faut faire connaître les talents français ici et les aider à exposer, jouer, produire, publier… Nous connaissons le réseau culturel local et sommes là pour faciliter le succès des artistes et intellectuels français aux États-Unis. Nous soutenons financièrement beaucoup de projets, mais notre cœur de métier reste la diplomatie : lobbying, mise en relation, facilitation.
Dans le domaine éducatif, nous faisons la promotion de la langue française, afin qu’elle soit parlée et apprise sur tout le territoire. C’est une logique d’influence. Enfin, il y a le pan universitaire de notre action. Nous assurons la présence et l’influence de la France sur les campus américains. Cela passe notamment par la participation aux débats pour lesquels nous invitons des grandes voix françaises. Il s’agit autant de relayer les idées que de valoriser les intellectuels français. À long terme, c’est ainsi que nous attirons en France de nombreux étudiants américains.
Le fait que les différentes structures (alliances françaises, Institut français, centres culturels, services culturels de l’ambassade) se superposent ne nuit-il pas à la lisibilité de votre action ?
Un choix politique a été fait : il s’agit de diplomatie culturelle, donc c’est le ministère des Affaires étrangères qui a l’autorité et coordonne les actions. Nous travaillons étroitement avec l’Institut français, et, au cas par cas, avec le ministère de la Culture et d’autres entités qui nous apportent leur expertise. Dans notre cas, nous œuvrons aussi avec les cent dix alliances françaises des États-Unis.
Comment sont organisés les services aux États-Unis ?
L’importance de New York crée une exception : les services de coopération et d’action culturelle (SCAC) de l’ambassade sont basés ici et non à Washington DC. Je suis conseillère culturelle à New York mais je coordonne une dizaine d’attachés culturels répartis dans les grandes villes du pays. Notre stratégie est liée à l’importance des réseaux culturels locaux : à Los Angeles, l’attaché est spécialisé en cinéma et en industries créatives ; à New York, Chicago ou Houston, nos attachés sont spécialisés en arts vivants et arts visuels. À Boston, c’est un pôle universitaire ; en Géorgie et en Louisiane, un pôle éducatif. Chaque antenne fonctionne par priorité.
Quels sont les projets emblématiques de votre action récente ?
Il y a deux domaines complémentaires : le travail de fond et les mécanismes de soutien. Le travail de fond, qui a pris une tournure particulière avec le contexte des attentats, consiste à corriger l’image véhiculée par les médias dominants. Le prisme médiatique réduit la vie politique et intellectuelle en France à des considérations sécuritaires. Il est primordial, dans une logique d’attractivité, de lutter contre ce phénomène et de montrer les grands débats, la création, la richesse de la société. Il y a des projets merveilleux comme celui de [la transplantion, sous la forme d’une résidence d’étudiants, NDLR] de l’École supérieure des beaux-arts de Nantes au Texas, une scène culturelle dynamique qui reflète bien plus la réalité de notre pays et dont nous facilitons quotidiennement la diffusion ici.
Ensuite, il existe des mécanismes de soutien dans tous les domaines. Côté universitaire, nous avons lancé une plateforme d’anciens élèves américains en France (« Alumni »), pour consolider les liens existants. Nous devons aussi stabiliser la venue d’étudiants américains en France, qui a baissé de 10 % avec les attentats. La baisse est moins prononcée que celle du tourisme, mais il nous faut la contrer rapidement.
Et que faites-vous pour les arts visuels, qui constituent un enjeu important à New York ?
Nous relançons « Étant donnés », un fonds créé en 1994 destiné à développer aux États-Unis les carrières des artistes français émergents. Il y a vingt ans, Pierre Huyghe avait bénéficié de ce fonds, par exemple. En 2015, les présences de Philippe Parreno à la foire Armory Show et de Kader Attia au Guggenheim Museum ont été facilitées par notre action. « Étant donnés » utilise trois leviers. Nous envoyons des commissaires américains en France, afin d’enrichir leur vision de la scène française. En 2015, deux jeunes curateurs issus du SFMoMA [San Francisco Museum of Modern Art] sont venus. L’année précédente, c’était Jarrett Gregory, commissaire recrutée depuis par le Lacma à Los Angeles. À court et à long terme, ce type d’action entraîne plus d’invitations pour les artistes français, et parfois directement des acquisitions par des institutions américaines, comme récemment pour deux vidéos de Cyprien Gaillard [Desniansky Raion (2007), et Artefacts (2011), acquises par le MoMA de New York en 2015, NDLR]. Deuxième axe : nous soutenons des résidences d’artistes français aux États-Unis, en veillant à ce qu’ils créent des liens durables avec les institutions américaines. Enfin, nous encourageons les lieux américains à intégrer des artistes français dans leur programmation. Au total, nous affectons environ 150 000 dollars (134 000 euros) à ce programme chaque année.
Quand Emmanuel Perrotin ouvre une nouvelle galerie à New York, quel est votre rôle ?
Un galeriste de cette taille a déjà son réseau new-yorkais. Nous aidons ceux qui en ont besoin et nous le demandent. Nous sommes plus légitimes pour accompagner le projet de galerie temporaire de Frank Elbaz à Dallas, par exemple, ou pour faciliter la mise en place du partenariat entre le Palais de Tokyo (Paris) et la Biennale d’architecture de Chicago. Le cas de l’École des beaux-arts de Nantes qui s’installe à Marfa, au Texas, est parlant : vu l’éloignement du lieu, les équipes nantaises ne sont que rarement présentes. Notre attachée culturelle à Houston, Sylvie Christophe, assure un lien plus régulier avec les institutions texanes partenaires.
Avec quels moyens travaillez-vous ?
Une majorité de projets sont financés par l’intermédiaire du Fonds franco-américain pour les échanges culturels (Face), que nous avons créé. C’est une fondation de droit américain, véhicule juridique le plus pratique pour attirer des mécènes. Les fonds publics (2,7 millions d’euros) issus du ministère des Affaires étrangères représentent la moitié de notre budget et couvrent nos coûts fixes sur tout le territoire. Tous nos investissements et mécanismes de soutien, soit l’autre moitié de notre budget, sont en revanche le fruit des partenaires que nous parvenons à fidéliser. Chaque projet pérennisé doit, à terme, s’autofinancer.
Sur quels critères évaluez-vous votre action ?
Ils sont rares, reconnaissons-le, car visibles uniquement sur le long terme, comme tout travail d’influence diplomatique. Quelques exemples néanmoins : en dix ans, le nombre d’élèves inscrits dans des filières bilingues français anglais est passé de 24 à 1 400 dans le pays (*), répartis dans 134 filières, au travers de notre fonds de soutien aux écoles publiques américaines. Autre exemple : aux États-Unis, on lit peu de traductions. 95 % des livres lus sont d’abord écrits en anglais. Mais parmi les 5 % de livres traduits, la moitié sont traduits depuis le français. Nous pensons que ce chiffre est dû à notre travail de fond.
Quel est votre principal objectif pour l’année qui vient ?
Augmenter les moyens de Face pour agrandir son rayon d’action !
A la suite de cet entretien Madame Bénédicte de Montlaur nous a précisé que le nombre d’élèves inscrits dans des filières bilingues français-anglais est en réalité passé de 24 à 1 700 à New York (29 000 dans tout le pays) et non de 24 à 1 400 comme indiqué par erreur.
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Bénédicte de Montlaur : « Promouvoir le meilleur de la créativité française »
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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°464 du 30 septembre 2016, avec le titre suivant : Bénédicte de Montlaur : « Promouvoir le meilleur de la créativité française »