Si les peintres ont souvent pris le jouet pour sujet de leurs représentations, les artistes, depuis la modernité, se le sont littéralement approprié jusqu’à parfois le fabriquer…
Sculpteur, Albert Marque (1872-1939) est l’auteur de la figure enfantine qui trônait au beau milieu de la salle VII du Salon d’automne de 1905, celle-là même qui vit naître le fauvisme. Le style florentin de l’artiste, qui jurait par rapport à la violence chromatique des œuvres de Matisse et de ses compagnons, fit s’exclamer le critique d’art Louis Vauxcelles en ces termes : « Donatello chez les fauves ! » Peu le savent, mais Marque est aussi le créateur, en 1915, d’une magnifique poupée – conçue en collaboration avec la couturière Jeanne Margaine-Lacroix – dont la tête et le corps ont été réalisés par la Manufacture de Sèvres. Une très grande variété de costumes ayant été confectionnée, celle-ci donna naissance à une incroyable collection de figures, notamment inspirées des reines de France et de costumes traditionnels régionaux. Quoique considérable, le succès fut bref à cause de la guerre, mais la fortune artistique des poupées signées « A. Marque » rebondit aux États-Unis dans les années 1970 où elles gagnèrent une cote très confortable.
Les marionnettes et figurines animales du futuriste Depero
Des relations de l’art et des jouets, l’histoire est très ancienne. Si l’on s’en tient à l’époque de la modernité, on observe que le jouet y est très présent, qu’il soit appréhendé comme un prétexte iconographique à la réalisation d’une œuvre ou qu’il en soit tout simplement l’objet même. Alors que Manet brosse le portrait de son fils naturel Léon Leenhoff, le saisissant en train de faire des Bulles de savon (1867), Monet représente son petit garçon – Jean sur son cheval mécanique (1872) – en train de cavalcader et la fille de son mécène – Germaine et sa poupée (1877) – tenant son jouet tendrement dans ses bras. Si, à la fin du XIXe siècle, Bonnard et Vuillard se plaisent à multiplier les scènes de jeux d’enfants que surveillent leurs gouvernantes dans les parcs chics de la capitale, certains artistes des avant-gardes de la modernité rejouent dans leurs œuvres les qualités plastiques de tout un monde de jouets divers et variés.
L’artiste futuriste Fortunato Depero (1892-1960), qui se comportait comme un primitif observant le monde moderne avec ébahissement, réalisa ainsi autour des années 1920 aussi bien des figures de marionnettes en bois peint – Construction de Pinocchietto (1917) – que tout un lot de figurines animales en bois vernis – Ours et Rhinocéros (1923) – qu’il éditait au sein de sa propre maison, Casa d’Arte. Cofondateur du groupe Cercle et carré, Joaquín Torrès-García (1874-1949) collabore dans les années 1920 avec la marque Aladdin et crée un ensemble de boîtes de jeux pour petits aux motifs de volatiles, de chiens, d’éléphants, de bonshommes et de bonnes dames en tout genre. À l’histoire du surréalisme enfin, la contribution de Hans Bellmer (1902-1975) trouve son apogée avec une étonnante figure de Poupée, presque à grandeur humaine, à laquelle il donne toutes sortes de formes comme s’il accomplissait un acte de fétichisme fantasmatique.
Du « Cirque » de Calder à la Figuration libre de Di Rosa
À l’époque moderne, c’est surtout Calder (1898-1976) qui va développer son travail dans cette relation au jouet. À Paris, de 1926 à 1933, l’artiste consacre son temps à l’invention du Cirque. Dans la suite de petits objets qu’il confectionnait en tordant des fils électriques quand il était enfant, il imagine tout un monde de figures animées. Invité ici et là, Calder en donne des représentations qui sont un vrai régal pour les grands comme pour les petits. Le succès de ses spectacles est tel qu’il gagne non seulement une certaine notoriété, mais réussit à imposer cette dimension ludique dans le champ des arts plastiques. Ses créations ne tardent pas à devenir le prétexte à toute une production de produits dérivés.
Avec la société de consommation, ce type d’économie connaîtra dans la seconde moitié du XXe siècle un essor considérable, d’autant plus marqué que l’art contemporain ne cessera de chercher par tous les moyens à pénétrer toujours plus avant le quotidien. Alors que les héros de bandes dessinées portés par le pop art – les Batman, Superman et autres Popeye – prendront forme plastique dans des figurines qui feront concurrence aux soldats de plomb de nos ancêtres, un mouvement aussi radical que le Minimalisme trouvera son compte dans l’invention de toutes sortes de jeux savants de construction. Au début des années 1980, cette relation de l’art au monde des jouets atteindra son acmé avec la Figuration libre et l’art graffiti, des artistes comme Hervé Di Rosa ou Keith Haring se donnant même les moyens de constituer des entités propres à la production et à la commercialisation de leur création.
Pour Bernard Chauveau Éditeur et Le Néant Éditeur, Fabrice Hyber a réalisé un jeu édité à 200 exemplaires, numérotés et signés, intitulé Je s’aime. L’artiste a réalisé 112 dessins de 20 x 20 cm qui se placent sur un tapis de jeu en feutre. Chaque joueur est libre de recomposer sa propre peinture, se servant des dessins comme autant de cartes pour déborder le cadre du feutre et envahir les murs. Je s’aime est l’occasion pour le joueur de se transformer en artiste, auteur libre d’une composition ouverte.
L’ensemble, les 112 dessins et le tapis de jeu, est présenté dans une boîte (45 x 45 cm) avec la règle du jeu. Édition 200 exemplaires, 900 €.
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Ces artistes qui inventent leurs propres jouets
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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°641 du 1 décembre 2011, avec le titre suivant : Ces artistes qui inventent leurs propres jouets