Si les artistes africains sont de plus en plus appréciés en Occident, ils commencent à l’être aussi sur le continent grâce à un foisonnement d’initiatives publiques ou privées.
Barthélémy Toguo, El Anatsui, Chéri Samba… Les artistes africains contemporains, soutenus par leur diaspora, séduisent les collectionneurs occidentaux comme en témoigne la foire spécialisée 1-54 à Londres et New York. C’est très vrai en France, du fait de ses liens privilégiés avec l’Afrique, du salon Akaa (As Known as Africa) aux enchères dédiées chez Piasa, de la collection Jean Pigozzi à la Fondation Vuitton à « Beauté Congo » à la Fondation Cartier, en passant par les expositions des galeristes Templon et Gagosian et la saison Africa en 2020. « Depuis plusieurs années, les foires et les institutions de renom présentent régulièrement des artistes du continent, comme la Tate Modern, la Whitechapel Gallery, le MoMA, le Centre Pompidou, la Maison européenne de la photographie, les fondations Cartier et Prada…. Des comités d’acquisitions à la Tate ou au Centre Pompidou sont dédiés à l’Afrique ; des départements spécialisés de maisons internationales telle Sotheby’s ont été créés », observe Victoria Mann, fondatrice d’Akaa.
Même constat chez Daniel Templon : « Le Sénégalais Omar Ba, que nous défendons depuis 2016, a vu ses toiles de 2 mètres passer de 15 000-20 000 euros il y a quatre ans à 40 000-60 000 euros aujourd’hui. Cela est justifié : ses peintures, très travaillées, sont peu nombreuses et il y a un engouement international pour les artistes africains. Le Malawite Billie Zangewa, qui vit entre Genève et Dakar, bénéficie lui aussi d’un rattrapage très sain. Son travail, politique, cherche à faire naître des liens entre les continents. Il dialogue avec les artistes occidentaux de sa génération. Il est naturel que ses prix rattrapent les leurs », confie Anne-Claudie Coric, directrice générale de la galerie.
« Le marché de l’art africain se structure mais il se situe encore essentiellement en Occident. On trouve de plus en plus d’artistes qui ont appris l’histoire de l’art et produisent des œuvres pertinentes », souligne Christophe Person, directeur du département d’art africain contemporain chez Piasa. « Et la diversité de cultures du continent africain permet d’organiser des ventes aux enchères curatées qui racontent une histoire. Avec un prix moyen de 10 000 à 30 000 euros, et des records à 150 000-200 000 euros, pour des artistes parfois en dehors des radars des collectionneurs », constate-t-il encore.
Sa dixième vente en novembre dernier a totalisé 1,43 million d’euros, le double de son estimation. Deux toiles du Camerounais Marc Padeu, né en 1990, ont été adjugées 195 000 euros chacune, soit quarante fois leur estimation ! Une œuvre de l’Ougandais Joseph Ntensibe a atteint 156 000 euros, quinze fois son estimation, tandis qu’une autre de l’Angolais Cristiano Mangovo Brás, évaluée entre 5 000 et 8 000 euros, est partie pour 65 000 euros.
Christophe Person proposera sa première vente en Afrique du Sud le 14 février, avec Aspire Art Auction de Cape Town, tandis que Artcurial Maroc a lancé sa vente inaugurale à Marrakech le 30 décembre 2019, avec notamment des photos de Hassan Hajjaj, le roi du pop art marocain. Depuis peu, l’Afrique se réapproprie ses artistes via des projets publics comme l’ouverture du Palais de Lomé au Togo, ou privés, tels la foire 1-54 à Marrakech ou l’exposition panafricaine « Prête-moi ton rêve » qui tourne sur le continent à l’initiative de la Fondation pour le développement de la culture contemporaine africaine. Celle-ci rassemble jusqu’à fin janvier au Musée des civilisations noires à Dakar, au Sénégal, vingt-huit artistes renommés dont Abdoulaye Konaté, William Kentridge, Jane Alexander, Ouattara Watts, Soly Cissé et Nnenna Okoré. Pour le secrétaire général de la fondation, Fihr Kettani, « il est indispensable de rapprocher ces artistes, que le marché occidental a contribué à rendre visibles, des populations africaines. Et que les collectionneurs ici prennent conscience de leur intérêt. »
Si les plus riches clients du continent sont nigérians, sud-africains ou marocains, c’est un petit pays de 8 millions d’habitants, le Togo, qui dispose désormais de l’un des plus beaux écrins pour l’art africain : l’ancien Palais des gouverneurs à Lomé, inauguré en 1905 sous colonie allemande, réhabilité avec brio par des architectes lyonnais et des entreprises togolaises. L’État a dégagé 3,7 millions d’euros pour sauver ce joyau érigé au sein d’un parc de onze hectares en bord de mer, paradis pour la biodiversité. Des expositions temporaires sont organisées sur l’art contemporain (actuellement des artistes du Togo, du Ghana, du Bénin et du Nigeria), le design (Kossi Aguessy), le patrimoine, la photo, l’urbanisme. « Nous visons un large public, intéressé par l’art, la nature ou l’artisanat d’art », précise Sonia Lawson, la directrice du Palais de Lomé, lequel va s’adjoindre une librairie-boutique et un restaurant. Lors de l’inauguration du Palais le 28 novembre, des centaines de professionnels de l’art (galeristes, conservateurs, critiques, artistes…) avaient fait le déplacement de partout.
Et parmi eux, Prince Toffa, l’un des protégés du Collectif des artistes du Bénin fondé par le galeriste Robert Vallois avec une douzaine de ses collègues de Saint-Germain-des-Prés. « En 2015, près de Cotonou, nous avons créé le Centre, un espace culturel qui accueille des artistes béninois en résidence, dispose d’un lieu d’expositions et d’un jardin de sculptures. Nous présentons aussi ces artistes dans nos galeries à Paris et sur des événements nationaux et internationaux », explique Robert Vallois, qui a eu un coup de cœur pour la création locale.
Autre star présente aux festivités du Palais de Lomé : Kehinde Wiley, l’artiste qui a réalisé le portrait de Barack Obama, venu faire celui du président togolais. « Originaire de Los Angeles, Kehinde Wiley voyage depuis longtemps en Afrique, réalisant les portraits de jeunes rencontrés du Maroc au Congo, du Cameroun au Nigeria ; l’an dernier, il a inauguré la résidence Black Rock à Dakar pour inviter des artistes, notamment de la diaspora africaine, à venir travailler sur le continent », commente Anne-Claudie Coric.
Autant de signes qui ne trompent pas : « Le marché se développe dans plusieurs villes du continent. Des galeristes telles Cécile Fakhoury à Abidjan et Dakar, Sonia Ribeiro à Luanda, Danda Jaroljmek à Nairobi, encouragent à la fois la diffusion de leurs artistes à l’international et la constitution de collections locales. Des centres d’art et fondations comme Zinsou à Cotonou ou Kamel Lazaar en Tunisie s’implantent », se félicite Victoria Mann. Sur sa propre foire, les collectionneurs avertis augmentent d’année en année, et les ventes en 2019 ont été plus que satisfaisantes, tant pour des artistes établis que pour des talents émergents.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Quand le marché de l’art contemporain africain s’éveillera…
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°731 du 1 février 2020, avec le titre suivant : Quand le marché de l’art contemporain africain s’éveillera…