PARIS
La Fondation Cartier survole avec bonheur près d’un siècle de création congolaise. La surprise vient des ferments, dans les années 1920-1930, de cet art résolument fondé sur l’observation de la réalité.
PARIS - À peine franchi le seuil de la Fondation Cartier pour l’art contemporain, à Paris, les tableaux dont on aperçoit des fragments happent le regard. Il s’agit d’œuvres récentes. Réalisées par JP Mika, né en 1980, des huiles sur tissu déversent une sorte de joie de vivre lucide, où la gestuelle marquée des personnages et l’exubérance des fonds, motifs, couleurs et costumes ne masquent pas un œil acéré et une conscience des réalités. D’une génération antérieure et récemment décédé, Pierre Bodo (1953-2015) donne lui aussi à voir dans sa production des cinq dernières années des personnages hauts en couleur, souvent affublés de têtes d’oiseaux et portant aux pieds des accessoires de la vie moderne, des téléphones portables par exemple (Mudinda Choc, 2010). Le même imagina sur un tableau de 2011 l’Afrique de demain, pourvue d’une architecture futuriste et de réseaux de circulation interconnectés.
« Beauté Congo » est une exposition enthousiasmante, et pas seulement parce qu’elle porte haut les couleurs de l’Afrique ou que des stations d’écoute réparties sur le parcours laissent échapper des bribes sonores chaleureuses d’une sélection musicale. La proposition, au-delà de sa séduction visuelle immédiate, aborde à travers l’œil d’artistes souvent fins commentateurs les spécificités, la nature ou les travers de la vie quotidienne, politique, sociale, citoyenne de la République démocratique du Congo.
Un art pictural
Les nombreuses cimaises élevées dans les espaces d’exposition, en réponse à un art essentiellement pictural, n’entravent en rien la circulation, et laissent au contraire se dérouler le ruban d’un discours fondé sur la réalité du quotidien. Les artistes, en particulier les plus âgés, ont préféré en effet faire de la rue un fertile terrain d’observation plutôt que de suivre les préceptes d’une Académie des beaux-arts de Kinshasa encore trop tournée vers la façon européenne. Le plus célèbre d’entre eux est probablement Chéri Samba, lequel, non sans humour mais avec un propos toujours très précis, revient sur le passé colonial en se moquant des collectionneurs d’art africain qui ne connaissent rien du continent (Hommage aux anciens créateurs, 1999), repense le centre de gravité et l’équilibre de la géopolitique mondiale (La Vraie Carte du monde, 2011) ou interpelle avec la représentation d’un tout jeune enfant armé jusqu’aux dents dans un décor champêtre (Little Kadogo, 2004).
Style franc et direct
L’aventure se fait encore plus passionnante dans les espaces du sous-sol, où l’on revient longuement sur le terreau et les ferments de cette aventure congolaise. Deux figures y font une démonstration de force : Bodys Isek Kingelez et ses deux maquettes de villes géantes, qui, derrière la séduction d’une architecture imaginaire, pointent l’anarchie urbaine et les facteurs de développement à améliorer, mais aussi Moke. Né en 1950, ce dernier fut dès les années 1970 un pionnier de l’observation de la rue et du quotidien mais aussi d’un style franc et direct aux formes simples, aux contours affirmés et couleurs sans mélange, l’action étant toujours ramenée au premier plan.
Mais ce qui constitue la plus grande surprise de l’exposition, ce sont des expressions encore antérieures, présentées dans une section dénommée « Les précurseurs » et regroupant des travaux de la fin des années 1920 et du début des années 1930. Beaucoup de ces créateurs sont des peintres de case, comme Djilatendo ou Albert Lubaki, qui développent à l’aquarelle des motifs décoratifs aux infinies variations ou des figures et un bestiaire simplifiés, comme s’il s’agissait de poser sur le papier une encyclopédie visuelle de leur monde. Étonnante est également la découverte des artistes passés par l’Académie d’art populaire indigène établie en 1946 à Elisabethville (aujourd’hui Lubumbashi) par le peintre français Pierre-Romain Desfossés, qui ne cessa d’exhorter les artistes à s’inspirer de leur environnement en oubliant l’art européen, engendrant une production à la fois décorative et inventive. La sélection des œuvres est impeccable, un rien répétitive parfois dans la multiplication des motifs, mais l’œil finalement jamais ne se lasse.
Commissaire général : André Magnin, galeriste
Nombre d’artistes : 41
Nombre d’œuvres : env. 300
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Congo méconnu
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 15 novembre, Fondation Cartier pour l’art contemporain, 261, bd Raspail, 75014 Paris, tél. 01 42 18 56 50, www.fondationcartier.com, tlj sauf lundi 11h-20h, mardi 11h-22h, entrée 10,50 €. Catalogue, 380 p., 47 €.
Légende Photo :
Sylvestre Kaballa, Sans titre, vers 1950, huile sur papier, 38,5 x 52,5 cm, collection Pierre Loos, Bruxelles. © Photo : Michael De Plaen.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°441 du 18 septembre 2015, avec le titre suivant : Congo méconnu