La Fondation Louis Vuitton met en scène la création africaine, avec des propositions fortes et pertinentes. Certaines sont cependant trop connues tandis que manquent à l’appel les œuvres des Sud-Africains blancs.
PARIS - Après l’exposition cet hiver de la collection Chtchoukine, remarquablement emplie de chefs-d’œuvre mais qui lui avait conféré un aspect un peu « mausolée », la Fondation Louis Vuitton, à Paris, s’énergise avec une saison consacrée à la création africaine contemporaine. Et ce ne sont pas une mais trois expositions qui prennent possession du bâtiment.
La moins intéressante est installée au sous-sol et regroupe une sélection d’œuvres de la collection de Jean Pigozzi, acquises entre 1989 – et le choc vécu à la découverte de l’exposition « Les magiciens de la terre » – et 2009. Au-delà de l’étonnant choix scénographique, tellement cliché, qui consiste à habiller les murs en multicolore dès lors qu’il s’agit d’Afrique, ce n’est pas la qualité des œuvres exposées qui est en cause, mais plutôt une terrible impression de déjà-vu. Impression qui en émousse singulièrement l’intérêt, sans que le mérite de les avoir acquises tôt n’en soit moins grand. Mais voilà, les villes et bâtiments aussi séduisants que fragiles de Bodys Isek Kingelez sont archi-connus, de même que les photographies de Seydou Keïta et de Malick Sidibé, la peinture de Chéri Samba ou les masques de Romuald Hazoumè conçus à l’aide de matériaux récupérés. Heureusement quelques surprises contribuent à réveiller le regard, notamment les admirables sculptures en terre cuite de Seni Awa Camara et leurs références omniprésentes à la maternité, et les personnages de John Goba hérissés d’épines de porc-épic qui semblent échappés de songes ou de contes insondables.
Tiraillements sociaux
Au dernier niveau sont réunies quelques œuvres de treize artistes africains issues de la collection de la Fondation. Démonstration est faite ici que la puissance d’achat ne fait pas tout et que choisir les bonnes pièces est primordial, ce que manifestement l’on sait faire ici. En témoigne une grande sphère de Hazoumè qui, bien que constituée de ses habituels bidons d’essence, apparaît singulière (Exit Ball, 2008), mais aussi la belle série photographique de Santu Mofokeng, réalisée au milieu des années 1980 dans le train reliant Soweto à Johannesburg (Train Church, 1986). Formidable est aussi le travail de Kudzanai Chiurai, Zimbabwéen installé en Afrique du Sud : ses photos parfaites, jamais dénuées d’humour ni d’incohérences historiques et stylistiques, remettent en scène d’un point de vue africain l’aventure du missionnaire britannique David Livingstone, qui ouvrit la voie à la colonisation (Genesis).
Chiurai est également visible dans la troisième présentation, localisée sur les deux niveaux intermédiaires du bâtiment, consacrée à la scène sud-africaine contemporaine. Intitulée « Être là », elle est une réussite en ce qu’elle se focalise avec acuité sur les tiraillements sociaux et politiques à l’œuvre dans un pays qui, tout en étant la première économie du continent, connaît une effarante pauvreté, et qui, près de vingt-six ans après la fin de l’apartheid, n’en a toujours pas fini avec la ségrégation (lire p. 24-25). La violence sociale, le vétéran David Koloane en a fait le thème d’un film d’animation où des chiens – depuis toujours son motif fétiche, aussi réel que métaphorique – attaquent une femme dans la rue (The Takeover, 2016).
Il est tout aussi judicieux d’avoir mis l’accent sur des artistes qui explorent sans détour les problématiques de genre et de sexualité. Quand Zanele Muholi, inlassablement, dans un double questionnement à la fois de la représentation et des identités, dresse le portrait de lesbiennes noires, Kristin-Lee Moolman documente des jeunes gens ambigus, excentriques, androgynes, qui défient les stéréotypes sexuels. S’affranchissant des codes sociaux, Nicholas Hlobo réinterprète des formes rituelles en assumant le caractère féminin de la couture avec laquelle il les retravaille. Fortes sont également ces toiles suspendues de Moshekwa Langa, véritable retour à la terre ; elles ont été traînées au sol, encore humides, par des voitures afin de s’imprégner d’une réalité géographique qui, dans l’enfance de l’artiste, ne figurait pas sur l’atlas mondial (Drag Paintings, 2016).
Mais, toute pertinente qu’elle soit, cette exposition ne masque pas un travers récurrent dans le regard porté aujourd’hui sur la scène sud-africaine : les pionniers mis à part – Sue Williamson, David Goldblatt, William Kentridge… –, aucun artiste blanc des jeunes générations ne figure au générique. Ils sont pourtant nombreux, de Guy Tillim à Pieter Hugo, de Candice Breitz à Cameron Platter ou encore Mikhael Subotzky, ceux qui auraient pu prétendre à y être. « Les curateurs occidentaux se focalisent presque exclusivement sur les artistes noirs de nos jours », déplorait un professionnel de l’art sud-africain. Ce faisant, leurs propositions ne contribuent pas au dépassement des identités raciales, à laquelle elles devraient œuvrer en priorité.
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Vuitton célèbre l’Afrique
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 28 août, Fondation Louis Vuitton, 8, avenue du Mahatma-Gandhi, bois de Boulogne, 75116 Paris.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°479 du 12 mai 2017, avec le titre suivant : Vuitton célèbre l’Afrique