PARIS
Les foires sont devenues indispensables aux galeries, trop souvent désertées le reste du temps. Mais elles pèsent aussi sur leur économie. Et mettent à mal les refusées.
C’est toujours un moment d’effervescence artistique pour Paris que l’ouverture de la Fiac. La 45e édition de la Foire internationale d’art contemporain, qui se tient du 18 au 21 octobre au Grand Palais, suscite comme à l’accoutumée une kyrielle d’événements off ou hors les murs, de multiples propositions de performances, de conférences, d’expositions dans les galeries et de ventes spécialisées. En 2018 encore, une quarantaine de sculptures seront présentées au Petit Palais voisin et dans l’avenue Winston-Churchill piétonnisée, sous la houlette du commissaire invité Marc-Olivier Wahler, ainsi qu’une vingtaine d’œuvres au jardin des Tuileries, une carte blanche à Elmgreen & Dragset place Vendôme et des projections de films au Cinéphémère.
Cette année, 193 galeries d’art moderne, d’art contemporain et de design sont attendues, en provenance de 27 pays, avec une petite montée en puissance des exposants venus d’Asie et, à noter, le retour d’une quinzaine de professionnels reconnus internationalement, dont Anne de Villepoix pour Paris et Hauser & Wirth pour Londres.
Pourtant, à y regarder de près, la cartographie des galeries majeures, « aptes » à entrer à la Fiac, change peu, avec seulement dix enseignes nouvelles sous la nef, même si le Secteur Lafayette, dédié à l’émergence, accueille pour sa part sept nouveaux venus. Car le marché parisien n’est pas à l’euphorie. « Des fermetures de galeries, il y en a peu mais, en revanche, beaucoup sont dans une situation difficile », souligne Georges-Philippe Vallois, président du Comité professionnel des galeries d’art (CPGA). Triple V, Bugada, Romain Torri et Samy Abraham ont baissé le rideau, tandis que d’autres cherchent à réduire les frais : Anne de Villepoix délaisse son pas-de-porte de la rue de Montmorency pour une activité en appartement, Emmanuel Hervé quitte la capitale pour Marseille. « La situation est difficile pour les galeries de taille moyenne, tout comme pour les maisons de ventes aux enchères modestes », poursuit Georges-Philippe Vallois.
Jennifer Flay, la directrice de la Fiac, en convient : « Le marché est dans une période de ralentissement, mais cela n’a rien à voir avec la crise de 1990. Cette fois, cela touche les artistes en milieu de carrière et les galeries de taille intermédiaire, ainsi que l’émergence, car les collectionneurs sont plus frileux. Des galeries ferment ou cherchent des modèles alternatifs partout dans le monde, à Berlin, Londres, New York... Celles qui vont bien, ce sont les grosses galeries internationales. » En particulier les galeries à succursales multiples aux quatre coins de la planète, un modèle dont Gagosian est aujourd’hui l’emblème.
À partir du moment où les foires d’art concentrent l’essentiel des ventes des galeries, elles deviennent un point de passage obligé pour elles, mais, évidemment, avec un surcoût considérable alors que leurs showrooms permanents se vident de leurs visiteurs le reste du temps, les collectionneurs étant de plus en plus pressés. Pour autant, pour Jennifer Flay, elle-même ancienne galeriste, pas question de tergiverser. « Ce sont ces professionnels qui défendent les artistes, les accompagnent, les font grandir. Le rôle de la Fiac, c’est de les fortifier. » Ainsi met-elle en avant le métissage géographique des allées de la Fiac, de nature à favoriser les rencontres avec des collectionneurs de partout, et la mise à disposition cette année de stands encore plus petits, jusqu’à 16 m2, donc moins dispendieux, tandis qu’au Secteur Lafayette, la moitié du coût est pris en charge par les Galeries Lafayette.
Récemment, David Zwirner, présent à New York, Londres et Hong Kong, a suggéré que le prix du mètre carré dans les foires soit facturé plus cher aux grosses galeries qu’aux petites. Une solution reçue avec un certain scepticisme par le président du CPGA. « Pour moi, l’obligation faite aux galeristes de montrer des projets valorisants pour la foire, mais extrêmement difficiles à commercialiser, est le problème majeur. »
Si la Fiac revendique sa spécificité, avec une place plus importante faite aux jeunes galeries et aux galeries de taille moyenne que dans d’autres foires, sans négliger pour autant les leaders mondiaux susceptibles d’apporter une belle visibilité à l’ensemble des exposants, certains professionnels regrettent que les artistes de la scène française ne soient pas davantage représentés, car ce sont eux principalement qui assurent l’avenir des galeries de l’Hexagone.
D’autant que les nuages s’accumulent sur les galeries et sur la diversité artistique. Les maisons de ventes aux enchères, soucieuses d’apparaître comme des acteurs culturels et non comme de simples intermédiaires commerciaux, se mettent à réaliser des ventes privées, concurrençant des galeries de second marché comme Franck Prazan, Tornabuoni ou Daniel Malingue, par exemple, quand ce n’est pas le cas sur le premier marché, en cherchant à devenir agent d’artiste. C’est particulièrement vrai de Sotheby’s, bien décidée à faire des transactions de gré à gré un centre de profit à part entière. Et les records des œuvres vendues plus d’un million aux enchères, très relayés dans les médias, favorisent les galeries les plus importantes portées par cette vague, alors que stagnent voire diminuent les prix des œuvres les moins chères.
La puissance des réseaux sociaux pousse aussi, contre toute attente, à la concentration. « On pensait qu’Internet étendrait spectaculairement la connaissance de l’activité de chaque galerie, mais c’est exactement l’inverse : les réseaux sociaux mettent en valeur un tout petit nombre d’informations, dont les incidences sont démultipliées dès lors qu’il y a une médiagénie entourant l’artiste ou l’événement artistique. Cela devient de plus en plus difficile pour les galeries petites et moyennes de tirer leur épingle du jeu », déplore Georges-Philippe Vallois.
Autant dire que l’équation est complexe. « Le succès de la Fiac, malgré ses conséquences néfastes sur les galeries qui n’y sont pas admises et sont donc affaiblies, est indissociable de l’internationalisation de la place parisienne. La soutenir est donc une obligation », reconnaît le président du CPGA. Mais il faut tout mettre en œuvre pour également braquer les projecteurs sur d’autres types de galeries et éviter la standardisation de l’offre. D’où l’intérêt des multiples foires off, de la nocturne des galeries qui se déroulera le jeudi 18 octobre pour la neuvième fois consécutive, et des manifestations fédératrices qui animent d’autres moments de l’année comme « Paris Gallery Weekend » ou « Un dimanche à la galerie ».
Un Grand Palais éphémèreau Champ-de-Mars
Le Grand Palais fermera pour travaux du début de l’année 2021 au printemps 2023 et laissera place à une structure éphémère installée sur le plateau Joffre au Champ-de-Mars, près de l’École militaire. « Ce sera un bâtiment semi-permanent, écoresponsable, modulaire, démontable. La structure fera 13 000 à 15 000 m2 et, pour la Fiac, son plus gros utilisateur avec 18 600 m2, sera prévue une extension. Un appel d’offres a été lancé auprès d’architectes internationaux. Nos sponsors vont suivre car le lieu sera noble », promet Jennifer Flay.
Martine Robert
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La Fiac s’ouvre dans un climat mitigé pour le marché de l’art
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°716 du 1 octobre 2018, avec le titre suivant : La Fiac s’ouvre dans un climat mitigé pour le marché de l’art