PARIS
« La scène hexagonale est bien représentée à la Fiac », se défendent les organisateurs de la foire. « D’accord, mais où ? », rétorquent galeries et artistes. Enquête.
En ce début d’été parisien, la température est montée d’un cran dans la capitale. Le ton entre Daniel Templon et Jennifer Flay aussi. Le marchand a fait savoir à la Fiac qu’il s’estimait lésé par l’emplacement dévolu à son enseigne dans l’espace de la foire. D’autant plus que, également implanté à Bruxelles depuis 2013, il vient d’inaugurer au printemps une nouvelle adresse à Paris. « Comment expliquer à nos collectionneurs étrangers que nous sommes une grande galerie quand nous sommes relégués à trois allées du centre ?, feint de s’interroger sa directrice générale Anne-Claudie Coric. Une foire, c’est aussi une cartographie symbolique. Et nous ne sommes pas les seuls à nous plaindre auprès de Jennifer Flay. » Parmi les mécontents, Suzanne Tarasieve, dont la galerie a fêté ses 40 ans, accepte mal que l’accès au Grand Palais lui ait une nouvelle fois été refusé. « La Fiac, je n’y suis plus depuis 2010, précise-t-elle. Or, cette année, je trouve cela vraiment difficile à admettre ; j’ai repris l’Estate de Ed Paschke, et je sais que mon dossier de candidature était excellent. A-t-il seulement été examiné ? Je n’en suis même pas sûre », déplore Suzanne Tarasieve.
La révolte a beau gronder, nulle révolution n’est cependant en vue. Daniel Templon a bien tenté de rallier quelques confrères à sa cause. « Lorsqu’on me demande si je trouve normal que les espaces centraux soient en majorité réservés aux galeries étrangères, je réponds “non”, convient Jean Frémon, de la Galerie Lelong & Co. Pour autant, je n’ai pas envie d’adopter une posture de protestataire. » Car, si les enseignes de l’Hexagone estiment, pour certaines, qu’elles pourraient être mieux traitées, toutes s’accordent sur la nécessité de jouer collectif le moment venu. « À la Fiac, le nombre de galeries françaises est en proportion satisfaisante en pourcentage, mais sans doute pas en mètres carrés, se borne à constater Thomas Bernard, le fondateur de la Galerie Cortex Athletico. Sans compter que l’architecture du lieu, compliquée, engendre des circulations et des visites inégales, selon que l’on a un stand à l’étage ou au rez-de-chaussée. De là à penser que cette asymétrie reflète celle du marché… Reste que c’est un événement qui crée un contexte porteur. C’est aussi, évidemment, un label dont il est difficile de se passer, bien qu’il coûte cher. La participation à la Fiac représente à peu près 10 % des charges annuelles d’une galerie. »
Chantal Crousel, qui s’est vu allouer le bel espace central autrefois occupé par Yvon Lambert, Nathalie Obadia et Kamel Mennour, placés à des intersections, ou encore Emmanuel Perrotin, au premier rang, pile face à l’entrée principale : certains s’estiment bien lotis. Pour les autres, Jennifer Flay endosse la responsabilité d’un arbitrage ingrat tout en faisant valoir les difficultés de l’exercice. « La Fiac dans le Grand Palais n’a pas le gigantisme de Art Basel à Miami. À la Fiac, il n’y a que trois allées horizontales et six verticales, plus les passages d’évacuation et les coupe-feu. Cela laisse la place pour cent quatre galeries au rez-de-chaussée », détaille-t-elle.
La scène locale serait-elle sacrifiée au nom de la mondialisation du marché de l’art ? « Sur 193 galeries, soixante sont françaises pour cette édition. Cela représente 31 % du total », se défend Jennifer Flay, qui remarque que ce ratio est supérieur à celui de Frieze, « où les galeries de Grande-Bretagne représentent seulement 18 % des participants ».Mais n’est-ce pas plutôt sur les Allemands qu’il faudrait prendre exemple ? Nos voisins germaniques ont en effet la réputation de savoir mieux défendre leur scène nationale. « Le pourcentage des galeries allemandes à Cologne est sans doute supérieur, mais le rayonnement de la foire est beaucoup moins important que celui de la Fiac, dont la place sur la scène internationale a des répercussions directes sur la perception de la scène française à l’étranger », assure Jennifer Flay. Quant à Art Basel, l’écrasante supériorité numérique des galeries d’outre-Rhin – mise en évidence dans l’étude des deux universitaires Nathalie Moureau et Elisabetta Lazzaro parue dans Le Journal des Arts– tiendrait pour beaucoup au fait qu’il s’agit d’une foire suisse-allemande.
À partir de quand une enseigne fait-elle partie du territoire sur lequel elle est activement implantée ? Karsten Greve s’est installé à Paris en 1989, Thaddaeus Ropac en 1990 et Marian Goodman en 1995. « Après tant d’années, on peut considérer qu’elles sont légitimes en tant qu’actrices de la scène française », affirme Jennifer Flay, elle-même originaire de Nouvelle-Zélande, et qui se dit fatiguée par ces considérations identitaires. « Joseph Allen a ouvert son espace dans le 9e arrondissement ; il est australien. Chantal Crousel est née belge. Je pense que l’appartenance culturelle va au-delà d’une simple affaire de passeport. » Quoi qu’il en soit, il serait selon la directrice de la Fiac, plus facile d’y rentrer en tant que galerie française. Soucieux de veiller à ce que la représentation tricolore ne tombe pas en dessous du seuil fatidique des 23 %, le comité se montrerait en effet « plus indulgent ». Quitte, dans certains cas, à accompagner les marchands dans leurs choix stratégiques afin qu’ils revoient leur copie.
Qu’en est-il de la représentation des artistes français sur la foire ? Pendant Art Basel, aussi bien en Suisse qu’à Hong Kong et à Miami, les Français seraient moins exposés que leurs confrères américains et allemands, ont constaté Nathalie Moureau et Elisabetta Lazzaro : « Les galeries françaises ouvrent largement leurs stands aux artistes étrangers. Parmi ceux qu’elles exposent, un sur quatre seulement est français. » Cette tendance semble s’inverser à la Fiac. Pour cette 45e édition, les galeries mettent en avant les artistes vivant et travaillant en France : Pierre Huyghe, Jean-Luc Moulène et Melik Ohanian chez Chantal Crousel, qui présente également deux pièces de David Douard. De Martin Barré à Jérôme Zonder, Nathalie Obadia défend des artistes reconnus : Valérie Belin, Fabrice Hyber, Benoît Maire, Laure Prouvost. Focus sur Xavier Veilhan chez Emmanuel Perrotin et sur Tatiana Trouvé chez Kamel Mennour (parmi les noms connus de sa galerie, Daniel Buren, Claude Lévêque, Camille Henrot, Bertrand Lavier, François Morellet, Philippe Parreno…), quand la Galerie Jocelyn Wolff met pour sa part en avant deux jeunes artistes, Guillaume Leblon et Élodie Seguin.
Les hommages ne manquent pas : Michel Journiac est à l’honneur chez Christophe Gaillard, Michel Tapié chez Franck Prazan. La Galerie Allen fait dialoguer Daniel Turner, basé à New York, avec Maurice Blaussyld, qui vit et travaille à Lille. Chez Thomas Bernard-Cortex Athletico, ce sont les sculptures d’Anita Molinero et de Richard Baquié qui sont mises en regard. Sur son stand, la Galerie In Situ - fabienne leclerc fait quant à elle une large place à une série de peintures de Bruno Perramant et annonce que l’avenue Winston-Churchill sera survolée par un drone de Renaud Auguste-Dormeuil annonçant en lettres lumineuses : « Jusqu’ici tout va bien ».
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À la Fiac, la délicate équation de la visibilité de la scène française
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°716 du 1 octobre 2018, avec le titre suivant : À la Fiac, la délicate équation de la visibilité de la scène française