Chine - Hongkong

Hongkong, le marché de l’art fragilisé par un régime autoritaire

Par Michel Temman, correspondant au Japon · Le Journal des Arts

Le 21 décembre 2022 - 975 mots

HONGKONG

Même après sa reprise en main par Pékin en mai, l’ancienne colonie britannique est encore vue comme une plateforme-clé de l’art contemporain en Asie. Elle risque pourtant de se voir détrônée par Singapour.

Édition 2022 d'Art Basel Hong Kong. © Art Basel
Édition 2022 d'Art Basel Hong Kong.
© Art Basel

Tokyo. Hongkong ou la théorie des vents contraires. Après bientôt trois années extrêmement tendues qui auront vu la jeunesse de l’ancienne colonie britannique, en 2019, prendre la rue pour protester contre le resserrement des libertés individuelles, puis sa population se retrouver cantonnée et prise dans l’étau, entre 2020 et 2022, de restrictions sanitaires anti-Covid aussi strictes voire plus encore qu’ailleurs en Chine, la « cité déchue » (1) tente péniblement, pour nombre d’observateurs, de sortir la tête de l’eau miroitant dans la baie de Victoria Harbor.

Le défi semble de taille. Le gouvernement hongkongais a levé le 26 septembre la quarantaine obligatoire à l’arrivée sur le territoire, ceci dans un climat économique pour le moins dégradé, après deux années de contraction. Produit intérieur brut en baisse, consommation des ménages en berne, dette publique en hausse (financée malgré tout par d’énormes réserves fiscales) : sur le front économique, les nouvelles de celle présentée d’ordinaire comme « la dixième puissance commerciale et cinquième place financière au monde » n’ont, pour l’heure, pas de quoi enchanter. La poursuite des mesures de distanciation sociale et la fermeture, souvent très tôt dans l’après-midi, des institutions culturelles et des salles de spectacle n’encouragent pas non plus le retour en force des investisseurs comme des collectionneurs étrangers.

Illustration parmi d’autres : le courtier Jean-Marc Decrop, figure quasi historique de l’art contemporain en Chine et défricheur de tendances ayant contribué à la découverte et à la reconnaissance de l’avant-garde chinoise à l’étranger, a quitté dernièrement Hongkong, où il s’était établi en 1993, pour s’installer à Bangkok – vue par certains, en Asie et après Singapour, comme « l’autre cité du futur ». La fin d’une époque, en somme.

« En Chine, la stratégie sanitaire anti-Covid a porté un coup rude à des galeries qui, comme la nôtre, étaient des habituées d[e la foire] Art Basel Hong Kong, témoigne Xixing Cheng, directrice de la galerie Don, à Shanghaï. Notre présence à Art Basel Hong Kong 2022 s’est faite en mode virtuel. Ce fut très dur. Presque aucun visiteur étranger n’était là. Or, vendre des œuvres sans rencontrer physiquement les acheteurs relève de la gageure. En attendant des jours meilleurs, nous participerons à Art SG, à Singapour, en janvier 2023 ! » Un salon très commenté, extrêmement attendu (du 12 au 15 janvier), où la fine fleur des galeries d’art contemporain asiatiques – et parmi elles plusieurs venant de Hongkong – se sont donné la main et rendez-vous.

Une place de transactions pour toute l’Asie

Pour autant, quelques signaux démontrent la patience et l’esprit de résilience des acteurs hongkongais. Le succès local, populaire, du musée flambant neuf M+ inauguré en novembre 2021, conçu par les architectes suisses Herzog & de Meuron et devenu le plus grand musée d’art contemporain d’Asie avec ses 65 000 mètres carrés, ses 33 salles exposition et sa collection unique riche de 8 000 œuvres d’art, aurait déjà considérablement renforcé le statut de Hongkong en « hub » culturel. « Le marché de l’art est de retour à Hongkong et reprend peu à peu de son dynamisme », assure Dandan Li, directrice et conservatrice du Pearl Art Museum.

Pour le galeriste Matthew Liu, établi à Shanghaï, Hongkong aurait même retrouvé ses couleurs en un temps record et serait encore, selon lui, « la plaque tournante de l’art contemporain en Asie pour les artistes chinois, asiatiques et occidentaux ». Art Basel 2023 devrait d’ailleurs signer ce retour « à la normale. » « Les galeries et les professionnels sur place m’assurent tous que la situation est de nouveau très bonne, ajoute Matthew Liu. La politique sanitaire s’est assouplie et le territoire a conservé ses prérogatives pour dédouaner les œuvres. En vérité, toute l’Asie continue d’acheter des œuvres à Hongkong, même hors salon, car Hongkong reste un lieu idéal de transactions pour toute l’Asie ! Les collectionneurs japonais, sud-coréens, thaïlandais, indonésiens affluent à chaque événement ou se font représenter. Pour ma part, notre galerie est présente sur place et compte un très important portefeuille de collectionneurs, presque aussi important qu’à Shanghai. Mais, car il y a un “mais”, une menace se profile aujourd’hui clairement pour Hongkong : c’est Singapour, où la tradition de collecter a toujours été forte. » Pour Matthew Liu, Singapour pourrait même causer « d’ici trois à cinq ans », de sérieux soucis à Hongkong en matière d’investissements à la fois dans l’immobilier et dans l’art contemporain.

Des Américains qui ont la cote

Les collectionneurs hongkongais sont en particulier friands d’art contemporain américain, et Jean-Michel Basquiat figure parmi les artistes majeurs les plus courtisés. En 2021, trois de ses toiles ont dépassé, chez Christie’s, 30 millions d’euros chacune auprès d’acheteurs hongkongais. C’est également à Hongkong que la cote de Richard Prince s’est littéralement envolée ces dernières années – son œuvre Runway Nurse a été adjugée, à un acheteur du territoire, 12,1 millions de dollars américains chez Sotheby’s.

The Henderson, immeuble conçu par le cabinet Zaha Adid Architects dans lequel Christie's installera son nouveau siège hongkongais en 2024. © Zaha Hadid Architects / Arqui9
The Henderson, immeuble conçu par le cabinet Zaha Adid Architects dans lequel Christie's installera son nouveau siège hongkongais en 2024.
© Zaha Hadid Architects / Arqui9

Les grandes maisons de ventes, Christie’s, Sotheby’s ou encore Phillips, ouvrent de plus en plus le marché hongkongais aux plus célèbres signatures occidentales contemporaines. Ainsi qu’à quelques noms confirmés, américains et européen : les œuvres colorées voire drolatiques des artistes américaines Loie Hollowell, Emily Mae Smith, Avery Singer ou du Suisse Nicolas Party ont enregistré à Hongkong des records ces deux dernières années. Comme pour conjurer une ambiance morose ? Des ventes en ligne et une stratégie qualitative qui peut en tout cas payer en temps de Covid ! Illustration parmi d’autres : la maison Christie’s, un peu trop à l’étroit au sein du Hong Kong Convention & Exhibition Centre, a annoncé qu’elle allait investir un nouveau siège hongkongais (d’une surface de 4 600 m2) courant 2024, dessiné par le cabinet Zaha Hadid Architects. 

(1) Selon le titre du témoignage semi-autobiographique de l’artiste hongkongais Kwong-Shing Lau, paru en 2021 aux éditions Rue de l’Échiquier (Paris).

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°601 du 16 décembre 2022, avec le titre suivant : Hongkong, le marché de l’art fragilisé par un régime autoritaire

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