MARSEILLE
La biennale européenne itinérante se veut différente des autres par l’attention qu’elle porte aux enjeux sociaux locaux. La multiplicité des propositions sera visible dans son intégralité à partir du 9 octobre.
Marseille. Avec trois programmes en un, plus d’une centaine de lieux répartis à Marseille et dans la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, une ouverture progressive étalée sur plusieurs semaines…, Manifesta 13 n’est pas une biennale facile à appréhender. Comme si cette édition portait les stigmates d’un processus d’élaboration lent, et sans doute, complexe.
Sacré pari en effet pour un événement international d’une telle envergure que s’être préparé sous deux mandatures, qui plus est dans l’ancienne Capitale européenne de la culture (2013). Portée par Marie-Hélène Féraud-Gregori, ex-conseillère municipale déléguée à l’art contemporain, et Sébastien Cavalier, directeur de l’action culturelle, la candidature de la ville de Marseille a été officiellement actée, en avril 2016, du temps de Jean-Claude Gaudin maire. Mais le coup d’envoi de la biennale, dont c’est la toute première édition hexagonale, a finalement été donné sous l’égide de la nouvelle équipe municipale dirigée par Michèle Rubirola.
Le deuxième défi pour Manifesta est évidemment de se dérouler en période de pandémie. La réouverture du Musée d’art contemporain de Marseille (MAC) après des travaux de rénovation, annoncée pour le lancement de la biennale, a été repoussée en 2021. Reportée quant à elle de juin à fin août, privée de la venue de plusieurs artistes invités, Manifesta 13 a souhaité se maintenir « par solidarité avec la Ville et les institutions », comme l’affirme sa directrice, Hedwig Fijen. La fondation privée basée à Amsterdam a par ailleurs insisté sur l’orientation locale de sa ligne éditoriale, rappelant que sa mission consistait avant tout à « porter un regard sur le monde à partir d’une ville ».
Ainsi, depuis l’édition de Palerme déjà, Manifesta est précédée d’une étude urbaine. Commandée cette fois-ci à l’agence MVRDV pilotée par l’architecte néerlandais Winy Maas, publiée sous le titre « Le grand puzzle », l’étude de quelque 1 200 pages est censée éclairer les enjeux de la « ville archipel », tout en servant de point de départ à « une intervention démocratique de 22 ateliers citoyens » intitulée « Le tour de tous les possibles ».
Mais c’est surtout l’importance accordée au programme collatéral « Parallèles du Sud » qui témoigne de cette attention à la scène locale. Institutions, artist-run spaces, galeries… : un peu moins de 90 projets à Marseille et dans sa région ont été validés par un jury composé d’Alya Sebti (Ifa Gallery, Berlin), Colette Barbier (Fondation d’entreprise Ricard), l’artiste Michèle Sylvander et Hedwig Figen, et produits ou coproduits grâce à l’attribution de l’intégralité de la subvention de la Région, d’un montant global de 500 000 euros. Lors du week-end d’ouverture, 26 de ces projets étaient visibles à Marseille, insufflant une énergie bienvenue au lancement de la Manifesta 13.
Exposition collective d’artistes vivants et travaillant dans la cité phocéenne, « Sur pierres brûlantes » campe un beau portrait de groupe au Triangle France-Astérides. « Marseille est une ville qui attire les artistes », souligne Céline Kopp, la directrice du centre d’art et co-commissaire. « Meridional Contrast » est le titre retenu par Tiago de Abreu Pinto pour la sélection de quatre artistes qui aurait dû prendre place sur la foire Art-O-Rama (remplacée cette année par un « Salon immatériel » en ligne) et qui est hébergée à la Friche la Belle-de-Mai. À l’espace Atlantis, les sculptures de Wilfrid Almendra, accompagné ici par le commissaire Cédric Fauq, jouent avec le désir du regardeur – « So much depends upon a red wheel barrow », selon le titre de son exposition. La jeune Double V Gallery s’offre un point de vue sur l’anse du Pharo avec le projet « Winter A-Go-Go » d’Olivier Millagou. À la galerie de la Scep, Jean-François Leroy découpe, assemble, plie, sérigraphie parfois… des matériaux récupérés, « Sans motif apparent », si ce n’est leur couleur et leur rapport à l’espace. D’un projet à l’autre, la déambulation offre aussi une lecture de la ville.
Avec une proposition inaugurale, « La maison : loyers, expériences, lieux » au Musée Grobet-Labadié, très littéralement militante mais formellement assez pauvre, on a le sentiment qu’il manque en revanche une grande exposition phare au programme principal, « Traits d’union.s ». Celui-ci, articulé en six chapitres, se déploie progressivement depuis le 28 août dans différents lieux, dont six musées marseillais.
Reste enfin le troisième volet, intitulé « Tiers Programme » : cette initiative de médiation associe éducateurs, artistes et habitants dans de louables intentions englobant des projets à valeur éducative, de recherche, curatoriale, narrative, artistique… Huit séquences d’exposition composant « Les Archives invisibles » sont ainsi programmées jusqu’en décembre dans le quartier général de l’opération, baptisé en toute logique le « Tiers QG ». Il est un peu tôt pour savoir ce qui résultera de ce travail très didactique. Mais celui-ci pose à sa façon la question, pour cet événement culturel transdiciplinaire, de la composition de son public et de la façon dont il est possible, ou souhaitable, d’en apprécier les retombées.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°551 du 18 septembre 2020, avec le titre suivant : Une Manifesta aux prises avec Marseille