Biennale

BIENNALE D’ART CONTEMPORAIN

Les paradis perdus de Manifesta 15

Par Julie Goy, correspondante en Espagne · Le Journal des Arts

Le 16 octobre 2024 - 584 mots

La biennale nomade européenne prend pied cet automne à Barcelone et dans une dizaine de villes des alentours au sein d’architectures patrimoniales.

Barcelone (Espagne). Depuis sa création en 1994, la biennale européenne Manifesta développe une programmation artistique en lien direct avec ses villes hôtes, telles Marseille en 2020 et Pristina au Kosovo en 2022. Pour cette 15e édition barcelonaise, 92 artistes sont conviés à intervenir dans des sites patrimoniaux historiques de la métropole catalane. Un parti pris décentralisé audacieux, qui complique la visite mais contribue à faire découvrir aux visiteurs les joyaux de l’architecture régionale, dont certains ouvrent exceptionnellement leurs portes au public.

Plus de la moitié des œuvres de Manifesta 15 ont été pensées in situ et provoquent souvent un choc esthétique, dans une réflexion constructive vis-à-vis de l’architecture. D’anciennes structures, industrielles, modernistes ou romanes, accueillent des formes esthétiques et matériaux très contemporains. C’est le cas à l’ancienne usine de textile Can Trixet (L’hospitalet de Llobregat), accueillant l’artiste italiano-sénégalaise Binta Diaw, qui recrée son installation Diaspora (2021-2024), réalisée à partir d’extensions de cheveux tressés, un hommage à la culture de la tresse au sein de la diaspora africaine présente en Catalogne.

Des œuvres méditatives

Au monastère de Sant Cugat del Vallès, nombreux sont les artistes à proposer des œuvres méditatives, invitant à l’introspection. L’installation The wind speaks in tongues of undulating waters (…Silence sings) du collectif international d’artistes femmes Radio Slumber, est un véritable sanctuaire moderne, constitué d’un labyrinthe de voiles et tissus colorés où résonnent des chants et discussions sur la résistance et la solidarité, espace alternatif à la prière dans ce monastère vieux de 1 200 ans. Dans le cloître verdoyant, les céramiques Restos de Sueño (2024) de l’Italienne Bea Bonafini représentent quatre corps de femmes, abstraits et fragmentés, pris dans ce qui semble être un rite funéraire, et dont le visage exprime un sentiment d’apaisement. L’artiste franco-ivoirienne Marie-Claire Messouma Manlanbien prolonge ce voyage spirituel avec son temple fictif consacré à l’eau, cette ressource inestimable, et composé de trois grandes tapisseries d’un bleu profond entourant deux petits autels, où des bols remplis d’offrandes trônent sur un sol en cristaux de sel.

Au fil de cette édition, la rencontre, pleine de cohérence, entre l’art contemporain et l’architecture industrielle produit un imaginaire troublant. Dans l’ancienne centrale thermique Les Tres Xemeneies (« les trois cheminées ») de Sant Adrià de Besòs, emblématique bâtiment de la skyline barcelonaise, les grands voiles blancs de l’installation Prehension (2024, [voir ill.]) d’Asad Raza redonnent vie à cet édifice fermé depuis 2011, vibrant au souffle du vent, au dernier étage de l’usine dont la vue donne sur la Méditerranée. Aux étages inférieurs, les lugubres cocons suspendus de Carlos Bunga (La irrupción de lo impredecible, 2024) font office de natures mortes monstrueuses tandis que la forêt d’arbres morts de Kiluanji Kia Henda, intitulée Frankenstein Tree (2024), évoque la disparition de la flore environnante, victime de l’industrialisation de la côte catalane.

La Casa Gomis est un autre coin de paradis troublé dans sa quiétude par l’activité incessante de l’aéroport international d’El Prat de Llobregat. La luxueuse villa moderniste, rarement ouverte au public, héberge les récits d’une forme de plénitude qui n’est plus. La série photographique « La playa » (1972-1980), de l’Espagnol Carlos Pérez Siquier, immortalise avec humour les débuts du tourisme de masse, tandis que l’installation vidéo Pas d’abri contre la tempête (2015), d’Anca Benera et Arnold Estefan, fait entrer la nature dans la villa tout en déplorant la destruction par les multinationales de l’une des dernières forêts vierges d’Europe, dans les Carpates roumaines.

Manifesta 15,
jusqu’au 24 novembre, à Barcelone et dans onze autres villes de la région, www.manifesta15.org

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°641 du 18 octobre 2024, avec le titre suivant : Les paradis perdus de Manifesta 15

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