Une Berlinale de qualité

Berlin. L’an passé, le Festival international du film de Berlin avait miraculeusement échappé à l’annulation ; ce fut d’ailleurs le dernier grand événement public d’envergure de l’année en Allemagne. Après avoir longtemps espéré pouvoir maintenir la Berlinale en février, la direction bicéphale du festival – Mariette Rissenbeek et Carlo Chatrian – a finalement dû opter pour un concept hybride pour cette 71e édition : un événement virtuel réservé aux professionnels et à la presse, qui s’est déroulé du 1er au 5 mars, afin d’éviter le télescopage avec le Festival de Cannes ; des projections grand public et remises de prix en présentiel prévues début juin.

Si le nombre total des films sélectionnés, un peu plus de 150, a été réduit comme une peau de chagrin, la qualité n’en a pas pour autant souffert, bien au contraire. L’Ours d’or du meilleur film a été décerné à une des seules productions qui inclut le quotidien de la crise sanitaire avec des acteurs jouant derrière un masque. Si Radu Jude brosse un portrait féroce de la Roumanie postcommuniste, son film, Bad Luck Banging or Lorny Porn, a aussi une portée universelle par son sujet. Il relate comment la vie d’une professeure bascule lorsqu’une de ses sextapes est mise en ligne sur les réseaux sociaux par erreur.

La France était particulièrement bien représentée cette année, avec deux films en compétition, Albatros de Xavier Beauvois et Petite maman de Céline Sciamma, mais aussi plusieurs coproductions à l’instar de Memory Box, long métrage réalisé par Joana Hadjithomas et Khalil Joreige, lauréats du prix Marcel Duchamp en 2017. Les artistes et cinéastes poursuivent leur réflexion sur l’histoire et le concept d’appartenance en revenant sur le quotidien d’une adolescente pendant la guerre du Liban dans les années 1980. Conflit des générations, secret de famille, découverte de son pays d’origine par la deuxième génération établie au Canada, figurent au menu de ce film. Memory Box s’inspire des carnets tenus par Joana Hadjithomas adolescente. Celle-ci retraçait minutieusement tout son quotidien à l’aide de photos et cassettes audio. Le contenu de ces carnets montre que, au-delà du contexte sombre de la guerre civile, la pulsion de vie était la plus forte. Les photos s’animent pour rendre le passé plus réel. Khalil Joreige revendique cet aspect artistique, voire artisanal, à rebours des effets spéciaux bon marché. L’esthétique n’est pas sans rappeler les vidéoclips de la musique de l’époque, tels que Take on Me de A-ha.

Dans la section « Berlinale Short » consacrée aux courts-métrages, le couple d’artistes Bárbara Wagner et Benjamin de Burca présentait One Hundred Steps, une œuvre projetée l’an dernier lors de la biennale européenne Manifesta 13 Marseille. Après leur participation à Skulptur Projekte Münster en Allemagne en 2017 et à la Biennale de Venise de 2019, les deux artistes continuent leur exploration de l’identité à travers les musiques populaires en mêlant éléments de fiction et documentaires, dans ce court-métrage tourné dans deux maisons-musées, dont le Musée Grobet-Labadié de Marseille. Enfin, l’exposition d’art vidéo de la Berlinale a été repoussée au printemps, et accompagnera ainsi les projections publiques en juin.