35 œuvres d’art contemporain monumentales ont été conçues pour la ville allemande à l’occasion de la nouvelle édition de la manifestation décennale, ouverte à la performance.
Münster. C’est cette année ou dans dix ans. Skulptur Projekte Münster n’a lieu qu’une fois par décennie, depuis 1977. Et pour cause, il s’agit d’un chantier monumental, censé occuper la ville entière, avec des œuvres in situ. Pas moins de 35 artistes, venant des quatre coins du monde, certains plus connus que d’autres – Pierre Huyghe, Koki Tanaka – explorent, selon les commissaires Britta Peters et Marianne Wagner [Kaspar König en est le directeur artistique depuis la première édition], « les potentialités de ce qu’on appelle l’art public, la surface disponible pour les usagers de la ville ». Sans doute, sauf qu’il semble que cette édition, à la différence des précédentes, marque moins la ville et ses habitants. Est-ce parce que la signalisation est pratiquement absente, les cartels si discrets que le visiteur a tout intérêt à être muni d’un smartphone ? Est-ce la volonté des artistes ou des organisateurs d’obliger les spectateurs à une chasse au trésor esthétique ? Jamais l’expression consacrée, « Suivez le guide », n’a été autant d’actualité et on conseille vivement aux lecteurs de se joindre à l’un des tours à vélo organisés par le musée.
Venons-en aux œuvres. L’impression qui se dégage de l’ensemble est celle d’une hétérogénéité qui ne permet pas de les classer sous une quelconque étiquette. Tant mieux, car cette situation reflète l’incroyable diversité du champ de la sculpture. Le parcours proposé à Münster montre que la sculpture contemporaine ne se limite plus à sa définition traditionnelle ; elle va de la performance aux installations, elle interroge l’architecture et l’habitat, l’espace intime et le tissu social.
Pour autant, la sculpture n’a pas quitté définitivement le musée, ce lieu de visibilité et de légitimation. Ainsi, une des œuvres les plus marquantes, N. Schmidt, Pferdegasse 19, de Gregor Schneider, loge dans le bel espace du LWL (le Musée d’art et de culture). « Loge » littéralement, car il s’agit prétendument de l’appartement d’un monsieur répondant au nom de « Schmidt », l’équivalent allemand de Dupont. Le visiteur, seul ou en couple, plongé dans un isolement imposé, est rapidement saisi par un sentiment d’inquiétante étrangeté – ou familiarité – qui se dégage de cette situation de claustration. Loin d’en être à son coup d’essai, Schneider expérimente cette forme d’installation depuis 1985 en investissant sa propre maison natale, une façon de réfléchir à l’effet du musée qui à la fois accueille et dénature.
Ailleurs, Camp, un groupe d’artistes interdisciplinaires dont les membres varient selon le projet – interviennent ici Shaina Anand et Ashok Sukumaran –, s’imprègne de l’histoire de cette ville millénaire, détruite partiellement pendant la Seconde Guerre mondiale. En reliant par des câbles noirs les ruines de l’ancien théâtre aux murs du nouveau théâtre construit en 1954, ils rappellent le passé mais laissent place à l’espoir qu’apporte la réunification. Moins subtile est la construction massive en béton d’Oscar Tuazon. En réalisant cette œuvre intitulée Burn the Forwmork, [« Brûler le coffrage »] dans une zone industrielle abandonnée, Tuazon signale son indignation face à l’aridité des friches industrielles. Toutefois, placer un barbecue juste devant la pièce, pour tenter d’introduire une note de complicité humaine, est un geste un peu dérisoire.
Au gré des déambulations, on croise le beau rocher ébréché (Le Rocher de Nietzsche) de Justin Matherly, ou un groupe de sculptures disposées autour d’un bassin d’eau qui fait songer aux fontaines classiques avec leurs personnages mythologiques (Nicole Eisenman, Esquisse pour une Fontaine). Retour nostalgique vers le néoclassicisme, clin d’œil ironique, ou bien hommage déguisé à une autre fontaine, celle de Duchamp ? Le spectateur peut y réfléchir en se rafraîchissant dans l’installation de loin la plus jouissive de Münster : Sur l’eau, d’Ayse Erkmen. L’artiste a fabriqué un ponton placé sous l’eau dans le port intérieur de la ville, que l’on traverse de préférence pieds nus. D’une manière ludique et sans s’appesantir, l’installation est animée par ses participants, devenant presque des performeurs. En passant, mentionnons l’importance accordée par la manifestation aux performances, dont celle, imposante, d’Alexandra Pirici, Leaking Territories.
Pour cette édition, Münster collabore avec la ville de Marl, distante de 70 km. Cette cité industrielle à l’urbanisme éclaté possède un musée de sculptures plus qu’honnête. Mais c’est surtout le très beau jardin, avec son étonnant cimetière, qui forme un lieu de mémoire exceptionnel. Certes, les sculptures datent plutôt des années 1980. Il n’en reste pas moins que des travaux comme ceux de Micha Ullman ou de Ian Hamilton Finlay sont rares. Finissons sur une œuvre splendide et discrète à la fois, peut-être même splendide car discrète. L’ensemble du parc est traversé par une diagonale blanche tracée à la craie par l’artiste belge Joëlle Tuerlinckx, qui se dégage sur le fond vert de l’herbe. Peu de choses et pourtant un moment de grâce.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Skulptur Projekte Münster 2017
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €
Le site Internet de Skultpur Projekt Münster
Alexandra Pirici, Leaking territories, 2017, performance dans la salle de paix de la mairie de Münster © Photo Henning Rogge / Skulptur Projekte.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°483 du 7 juillet 2017, avec le titre suivant : Skulptur Projekte Münster 2017