Dans un livre érudit et stimulant, le philosophe Johann Michel interroge les conditions et les limites de l’interprétation des œuvres d’art.
L’herméneutique est la science de l’interprétation des textes et s’applique donc habituellement à la littérature. Lire les images est sous-titré Herméneutique de l’art, mais « peut-on lire une image en art comme on lit un texte ? », interroge la quatrième de couverture du livre. « Oui », répond le philosophe Johann Michel qui fonde son ouvrage sur « des analogies ou des homologies entre le texte et l’image ». Son investigation, précise-t-il, porte « sur l’image en tant qu’elle manifeste une extériorisation d’une intériorité sur un support graphique ou plastique durable. […] Notre enquête se limite […] à une sous-catégorie bien particulière d’image graphique ou plastique en tant qu’elle est valorisée comme œuvre d’art. »
L’herméneutique ne s’intéresse pas aux images dont la compréhension est immédiate (par exemple les panneaux du Code de la route) mais à celles qui, parce que plurivoques, doivent être interprétées. C’est d’autant plus vrai pour une peinture altérée par le temps ou lorsqu’on ne connaît pas la signification de certains détails iconographiques. Les choses peuvent être même plus complexes quand, par exemple, le travail de l’historien de l’art est de « reconstruire un sens qui déroge à sa signification habituelle ou qui renvoie, en outre, à un sens second ». C’est ce qu’il se produit lorsqu’il est en présence de symboles ou d’allégories. Plus loin, l’auteur précise que « dans certains cas, une seule partie de l’image, qui peut sembler un détail au premier coup d’œil, peut s’avérer déterminante pour la compréhension d’ensemble ».
Analysant les positions de différents philosophes à travers l’histoire, Johann Michel montre comment leurs conclusions à propos des textes peuvent s’appliquer aux images, qu’ils aient eux-mêmes franchi ce pas ou non. Il inclut bien entendu dans son propos les historiens de l’art : Aby Warburg, Erwin Panofsky, Daniel Arasse, Jacques Darriulat, Georges Didi-Huberman entre autres. Spécialiste de Paul Ricoeur, il lui consacre une grande partie du chapitre « Raconter les images ». Dans la suite, « Décrire les images », il discute la théorie qu’Arthur Danto développe dans La Transfiguration du banal (Le Seuil, 1989) : « Si une entité est une œuvre d’art, il n’existe pas de manière de la voir qui soit neutre ; donc, dans la mesure où on la voit de manière neutre, on ne la voit pas comme une œuvre d’art. » Le corollaire est que c’est l’auteur de l’œuvre qui en donne la seule interprétation possible, ce qui, souligne Johann Michel, « se heurte à l’épreuve des faits ».
Mais il arrive fréquemment que certaines images « ne racontent rien, ne symbolisent rien. Il n’y a rien de visible, il n’y a rien de lisible dans ces tableaux. C’est le cas par exemple de La Vue de Delft […], elle décrit le paysage urbain de la ville natale de Vermeer. Elle décrit le paysage comme il devait être vu dans la “culture visuelle” des contemporains de l’artiste, sans supplément de sens symbolique. » D’où la question : « L’herméneutique a-t-elle encore des ressources pour interpréter une image rebelle à toute histoire, voire à toute figuration ? » Il cite Susan Sontag pour laquelle « la recherche du contenu d’un sens latent se ferait au mépris des “formes” esthétiques, dans l’oubli des sens, aux dépens de “l’énergie et de la capacité sensuelle”». Mais il conclut que « le détour par l’interprétation permet en retour d’accroître le potentiel affectif d’une image ». Enfin, Johann Michel analyse et discute la position de Philippe Descola dans Les Formes du visible (Le Seuil, 2021). Jusqu’au bout, le livre, exigeant, amène le lecteur à relire sa bibliothèque d’un œil nouveau.
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L’herméneutique, une clé pour décrypter l’art
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°654 du 25 avril 2025, avec le titre suivant : L’herméneutique, une clé pour décrypter l’art





