ORLÉANS
Orléans, son musée mais aussi son centre-ville, accueille l’œuvre pictural et sculptural de cette figure du néo-expressionnisme allemand.
Orléans (Loiret). Dans la première salle de son exposition orléanaise au Musée des beaux-arts, devant les cinq œuvres de la série « Lac de Siethen » [voir ill.], peintes pendant le confinement de 2020 dans son atelier près de Berlin, Markus Lüpertz (né en 1941) nous indique que ce qui l’intéresse, « ce n’est pas tant le sujet que la peinture en train de se faire », et qu’ainsi « une toile naît toujours de celle qui la précède ». Et de fait, lorsqu’on regarde attentivement ces cinq tableaux, on s’aperçoit que les trois premiers, de format plus petit, avec leurs formes géométriques souples, contiennent déjà les formes plus figuratives et le propos des deux plus grands. Les trois abstraits ne sont pas pour autant des travaux préparatoires ou des esquisses des deux figuratifs, puisque les uns comme les autres sont à considérer comme des œuvres à part entière. Ils résument simplement la démarche et la pratique de Lüpertz entièrement fondées sur l’idée du processus, de l’enchaînement, de la concaténation visuelle, comme sur le désir et le plaisir de peindre. Sur l’appel de la peinture, en somme, à l’instar de l’appel du large. Ils constituent aussi une magistrale entrée en matière – si l’on peut dire pour un artiste qui accorde à cet aspect une telle importance et qui peint des sujets figuratifs de façon abstraite. Le parcours se poursuit dans cinq salles du musée pour les 35 toiles tandis que onze emplacements dans la ville accueillent les sculptures.
Lorsqu’Olivia Voisin, la directrice des musées d’Orléans, a sollicité l’artiste pour cette exposition double, en extérieur et à l’intérieur, Lüpertz est d’abord venu étudier les lieux pour voir ce qu’il pouvait faire. Et c’est après avoir découvert une grande toile de Jean Hélion, Choses vues en mai, une autre de Francis Grüber, L’Annonce de l’hiver, ainsi que la sculpture Nymphede la prairie, de Maillol, qu’il a accepté la proposition et travaillé sur le projet. Il s’est ainsi littéralement glissé dans la « galerie » mise à sa disposition, comme en témoignent les différentes couleurs murales des salles qu’il occupe, repeintes pour lui dans les mêmes tons très XIXe siècle du musée, vert, bleu, violet… L’accrochage, assez chargé, est à l’image de celui très étonnant et réussi, pensé par Olivia Voisin pour les salles historiques.
Cette idée fondatrice que la peinture s’auto-engendre se retrouve dans les séries et salles suivantes. Notamment dans la seconde avec des toiles datées des années 1990 qui, en juxtaposant des fragments de paysage à une pomme et à un crâne, métamorphosent le paysage en nature morte. Puis dans la troisième salle et l’emblématique série « Arcadie », datant d’une dizaine d’années, avec entre autres une splendide toile Arcadie, la haute montagne. Ou plus loin, avec cette manière qu’à Lüpertz de faire d’un casque un escargot, ou l’inverse, histoire sans doute de protéger la peinture de toute perturbation extérieure et de la mettre à l’abri dans sa coquille.
Toutes les œuvres des différentes séries rappellent ainsi que c’est bien la peinture, dans sa façon de se fertiliser, de stimuler et faire vivre la matière, la forme, le motif, la couleur et le geste, qui crée le vocabulaire et l’écriture de Lüpertz. On est d’ailleurs frappé par la puissance et la sûreté de son trait. Par sa spontanéité aussi qui permet de garder cet élan pulsionnel et expressionniste (l’artiste préfère le terme « expressif »), caractéristique de son œuvre et très marqué dans la cinquantaine de dessins présentée dans les quatre cabinets (un par niveau) spécialement aménagés. Très marqué également dans les sculptures, qu’il qualifie lui-même de « sculptures de peintre ». Polychromes, taillées à la serpe mais selon le principe du diamant, elles témoignent du soin apporté à leur finition, à leur emplacement, aux jeux d’échelle et de perspectives qu’elles engendrent. « La sculpture, qui fait partie de ma peinture », aime-t-il dire.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°593 du 8 juillet 2022, avec le titre suivant : Lüpertz, la peinture comme moteur