PARIS
Au début de l’année 1981, Suzanne Pagé, alors conservatrice et directrice de l’ARC, présentait au Musée d’art moderne de la Ville de Paris « Art Allemagne Aujourd’hui », qui rassemblait une quarantaine d’artistes.
Depuis cette date, que ce soit sous la houlette de Suzanne Pagé devenue directrice du musée ou, depuis début 2007, de son successeur Fabrice Hergott, les plus importants d’entre eux, Gerhard Richter, Anselm Kiefer, A. R. Penck, Georg Baselitz… ont bénéficié dans ce même musée d’une exposition monographique. Markus Lüpertz figurait encore sur la liste. C’est désormais chose faite avec cette première « Rétrospective » parisienne qui rassemble 140 œuvres de l’artiste né en 1941 à Liberec (en Bohême, aujourd’hui région de la République tchèque), et qui vit aujourd’hui à Berlin. À cette occasion, Markus Lüpertz a accordé un entretien au JdA.
Pour quelles raisons êtes-vous toujours resté fidèle, exception faite de vos débuts, à la figuration ?
Je me considère en fait comme un peintre abstrait. Mais la peinture abstraite est très limitée dans sa forme. Au bout du 3 428e carré, il faut peindre autre chose, car on sait le faire. Je traite donc des objets figuratifs que je peins de façon abstraite, c’est-à-dire que la taille ne joue aucun rôle ; les relations entre eux, les proportions ne sont pas importantes, et, de la même manière que le spectateur peut réifier ou non les choses, je me sens très libre avec les formes. Il faut les regarder de façon détachée, indépendante. Et si on a une compréhension ou une interprétation figurative de l’image, c’est parce que, finalement, ce sont toujours les objets qui racontent leur propre histoire. Mais là, moi, je ne suis plus responsable.
Comment vous situez-vous dans l’histoire de l’art et de la peinture ?
Pour moi la peinture ne peut pas être encadrée, circonscrite dans le temps. L’univers de la peinture est éternel. La peinture, c’est l’endroit, le lieu où l’on évolue au quotidien. Tout est disponible, tout est à ma disposition. Il y a deux cents ans, les peintres peignaient comme aujourd’hui, après on peut avoir des préférences pour l’un ou l’autre, pour telle ou telle période. Mais il n’y a rien de neuf dans la peinture, la méthode est exactement la même, c’est toujours une question de couleur, de toile et de pinceau. Tout le reste n’est qu’artifice moderne. Et, plus que cela, ce qui importe c’est l’individu qui est derrière le pinceau. On voit sa passion, on voit la personne qui se cache derrière le trait et cela ne peut pas être limité dans un temps ou dans une époque.
Pensez-vous que la peinture soit moribonde ?
Non, absolument pas. La peinture est quelque chose de divin, elle nous vient directement de Dieu. Dieu a donné la peinture afin que les êtres humains puissent percevoir le monde qui les entoure, afin qu’ils puissent aimer un coucher de soleil ou la beauté d’un nu grâce à la représentation artistique. Personne ne comprendrait la beauté d’un paysage si cette beauté n’avait pas été rendue par l’art. Alors ensuite, la peinture peut être d’actualité ou pas – c’est son petit côté temporel –, elle peut engendrer des nouveautés, mais celles-ci ne touchent pas sa nature profonde qui est toujours la même. Un écrivain utilise toujours des mots, rien que des mots ; la peinture c’est pareil, c’est une discipline. Seule la comparaison d’une œuvre à l’autre permet le jugement : un funambule peut toujours tomber de son fil. L’unique chose que l’on peut révolutionner, c’est l’esprit qui est derrière elle, c’est le sujet, la surface – ou même le choix de se tourner vers d’autres disciplines, la photo, les installations. Mais la peinture a besoin de son vocabulaire pour s’exprimer, pour exister, pour être lue. Et elle nécessite une certaine formation, une éducation à la sensibilité.
À l’exception de vos débuts et de vos toiles récentes, vous travaillez avec des couleurs assez sourdes. Pourquoi ce choix ?
Nous sommes des gothiques, nous venons de l’ombre, du Nord, et nous voulons aller vers le sud. La culture allemande a toujours tendu vers le sud, Goethe en tête, mais il y a tant d’exemples. Toute la génération de peintres allemands dont je fais partie vient de la nuit et veut se diriger vers la lumière. Alors si j’y parviens un peu aujourd’hui, à un âge avancé, tant mieux. L’impressionnisme n’aurait jamais pu être inventé en Allemagne.
D’où viennent les motifs récurrents, comme le casque, l’escargot, qui traversent toute votre œuvre ?
Ces objets-sujets relèvent de mon quotidien. Ils viennent du hasard, de ce que je vois simplement. Ils sont le fruit de rencontres accidentelles. La peinture, c’est un peu comme un défaut, un défaut qui persiste. Je ne peux pas toujours expliquer ce qui m’a incité à peindre ceci ou cela : la peinture se crée uniquement dans les yeux de celui qui la regarde. Moi je suis le peintre, c’est tout. Et si la peinture n’est pas regardée, elle devient aveugle.
Au début des années 1980, vous abordez la sculpture. Qu’est-ce qui vous y a conduit et que vous a-t-elle apporté ?
Je suis avant tout un peintre. Il existe ce « concept » de la « sculpture des peintres », celle des Renoir, Matisse, Picasso, Max Ernst, Max Beckmann… Mais ils resteront toujours des peintres qui ont fait de la sculpture. Lorsqu’un sculpteur pur fait une sculpture et qu’on la regarde de face, on sait ce qu’il y a derrière parce qu’il y a une logique dans cette œuvre-là. En revanche, quand un peintre fait une sculpture, il n’en fait qu’une façade, il ne fait que multiplier des surfaces, un peu comme un diamant. C’est la raison pour laquelle ce qui est le plus important dans les sculptures de peintre, c’est la face, l’aspect frontal. Au fond, les sculptures sont les œuvres qui habitent mon espace et mon horizon.
À l’occasion d’une rétrospective comme celle-ci, quel regard portez-vous sur votre œuvre ?
Je ne vois pas de différence entre ce que j’ai fait il y a quarante ans et aujourd’hui. Je pense que j’en suis toujours au début et qu’il y a encore un long chemin à parcourir. J’aime étirer le temps, ce qui implique l’idée de vivre plus longtemps. J’ai eu pour principe de toujours recommencer. D’ailleurs on recommence à peindre parce qu’on n’est pas satisfait de ce qu’on a fait auparavant. C’est ce qui fait que je continue.
Commissaire : Julia Garimorth, conservatrice au musée
Nombre d’œuvres : 140
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Markus Lüpertz : « L’univers de la peinture est éternel »
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 19 juillet, Musée d’art moderne de la Ville de Paris, 11, avenue du Président-Wilson, 75116 Paris, tél. 01 53 67 40 00, www.mam.paris.fr, tlj sauf lundi 10h-18h, jeudi jusqu’à 22h, entrée 10 €. Catalogue, coéd. MAMVP/Paris Musées, 463 p., 50 €.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°435 du 8 mai 2015, avec le titre suivant : Markus Lüpertz : « L’univers de la peinture est éternel »