Difficile, après l’importante rétrospective que lui consacra en 2015 le Musée d’art moderne de la Ville de Paris, et plus récemment l’exposition – remarquable – au Musée de la vie romantique, de proposer une exposition qui renouvelle le regard sur Markus Lüpertz, acteur majeur du néo-expressionnisme allemand, aux côtés de Baselitz, Immendorff et Penck.
C’est pourtant ce que parvient à faire la Propriété Caillebotte de Yerres, avec « Oser la peinture », en orchestrant une rétrospective réunissant une soixantaine d’œuvres (peintures, dessins, sculptures) égrenant, aussi bien dans les anciennes étables et écuries de la Ferme ornée qu’au sein du jardin, les séries importantes de sa carrière, de ses fameux Dithyrambes des années 1960 aux Arcadies actuelles, via sa série-hommage à ses peintres d’élection, de Poussin à Corot, en passant par Marées. Assurément, le clou de cette manifestation est l’installation des treize sculptures en bronze peint, disséminées dans le parc. Rien de paradoxal dans une exposition consacrée à la peinture, la sculpture étant, pour Lüpertz, une continuation de sa peinture par d’autres moyens et sur de nouveaux supports : ces bronzes, aux yeux de l’artiste, sont « le pas suivant » qui prolonge le travail des tableaux. Ici, en flânant dans le jardin chatoyant de Gustave Caillebotte, le visiteur, qui croise des sculptures primitivistes ou expressives, comme modelées dans le bronze et reprenant des personnages issus de la mythologie grecque, tels Ulysse, Achille, Pâris et Héra, a bientôt l’heureuse impression d’avoir pénétré une toile explosive de Lüpertz, comme si les figures peintes avaient soudainement déserté le champ de la peinture pour s’inviter dans le réel. Au final, cet échappement libre pictural semble valider une affirmation hautement ambitieuse du grand plasticien allemand sur son art de prédilection : « Sans peinture, le monde est uniquement consommé et n’est pas perçu. »
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°724 du 1 juin 2019, avec le titre suivant : Immersion dans le champ pictural de Lüpertz