BORDEAUX
Le Frac Nouvelle-Aquitaine montre avec justesse combien la thématique florale peut aujourd’hui métaphoriser des registres graves.
Les fleurs ne sont plus un genre mineur réservé aux jeunes filles de bonne famille. Voilà en résumé le propos de la nouvelle exposition du Frac Nouvelle-Aquitaine qui entend montrer comment ces fragiles végétaux peuvent avoir une symbolique vigoureuse dans l’art d’aujourd’hui.
Ce changement de hiérarchie s’exprime dans la composition d’Ida Tursic et Wilfried Mille où tout est dit dans le titre – Landscape and Sainte-Victoire by Night and Cold Flowers (2016) –, car à l’inverse de Cézanne, la montagne est effacée et se trouve en second plan derrière un champ de fleurs colorées.
Si les fleurs ont toujours investi le registre sentimental ou érotique, elles prennent une dimension franchement sexuelle avec les artistes du XXe siècle. Les iris de Patrick Neu, les bouquets de Nobuyoshi Araki, les photomontages de Pierre Molinier sont très explicites. Et pour se convaincre du potentiel luxurieux de la nature, Ernest T emprunte au Douanier Rousseau un de ses paysages de jungle pour représenter un gorille emportant dans ses bras une jeune femme dénudée.
Les fleurs peuvent aussi devenir très menaçantes comme dans cette installation d’Alain Séchas qui figure un attelage de grandes fleurs carnivores. À l’inverse, elles font acte de résistance dans un environnement hostile à l’instar d’une autre installation, celle de Majida Khattari (Hymne à la vie, 2011). Sur un sol de charbon sont disposés des totems en céramique couverts de fleurs ou de textes en arabe que l’on peut lire comme un message d’espoir des printemps arabes.
« On ne voulait pas d’une exposition de bouquets », relève Claire Jacquet, la commissaire de l’exposition et directrice du Frac, tout en désignant une petite sculpture – très second degré – de Martial Raysse où l’on voit une figure masculine tomber en pâmoison devant un petit tableau représentant un bouquet. Le rapport de l’homme aux fleurs est d’ailleurs le fil rouge de l’exposition placée sous le thème de Narcisse qui, dans la version du mythe d’Ovide, est amoureux de son image, en meurt et se transforme en fleur. L’ambiguïté est plus troublante dans une photographie d’Yto Barrada, représentant un jeune Marocain vendeur de fleurs, un bouquet d’iris jaune posé sur sa tête, avec un regard très caravagesque.
L’exercice peut paraître facile et parfois littéral pour les spécialistes, mais l’exposition rassemble tout ce que l’on peut attendre d’une manifestation d’art contemporain à destination du grand public. Le thème est familier et offre de nombreuses portes d’entrées dans les œuvres que le visiteur peut ouvrir au gré de sa curiosité. Dans leur très grande majorité, les œuvres sont de qualité, et il y a même quelques « kitscheries » de Jeff Koons ou de Pierre & Gilles pour étalonner le bon goût, ou des œuvres anciennes, histoire de montrer la permanence de l’art. Le tout dans un propos construit et pertinemment illustré par les œuvres.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°540 du 28 février 2020, avec le titre suivant : Le nouveau langage des fleurs