Ils parlent le langage des fleurs

Giverny. Pour sa nouvelle exposition, le Musée des impressionnismes s’attache au thème des fleurs. Mais, si le sujet, très vaste, pouvait sembler banal, il fallait s’attendre à ce que Cyrille Sciama, directeur général du musée, et sa co-commissaire Valérie Reis, qui y est chargée des expositions, le distordent de façon à interpeller le visiteur. Pour constituer un corpus de 120 œuvres, ils ont retenu une petite sélection de la grande exposition « Flowers Forever » présentée précédemment à la Kunsthalle de Munich, et y ont ajouté un volet sur l’époque impressionniste, là encore moins attendu que prévu : le goût pour les bouquets de ces admirateurs d’Eugène Delacroix y est exploré, d’Eugène Boudin et Henri Fantin-Latour à Frédéric Bazille et Paul Cézanne dont le Musée d’Orsay a prêté, entre autres, Le Vase bleu (1889-1890).

Du spectaculaire ensemble contemporain du parcours bavarois viennent des œuvres engagées. Ainsi Portrait d’un noble florentin III de Kehinde Wiley (2019) reprend les codes de la peinture classique pour représenter des personnes racisées. Avec The Marias (2020), fleurs de papier et de bois, Kapwani Kiwanga entretient la mémoire de ces femmes esclaves qui, au Suriname, absorbaient des graines de la fleur de paon pour avorter et, en privant leurs maîtres de leurs futurs captifs, rester secrètement maîtresses de leur corps. Autre résistant, Ai Weiwei, dépouillé de son passeport par le gouvernement chinois, a fleuri pendant des années le panier d’une bicyclette stationnée devant son atelier pour continuer d’exister publiquement. Il en a tiré Corbeille de vélo avec fleurs en porcelaine (2015), une œuvre produite par la fabrique pluri-centenaire de Jingdezhen.

Organisée par thèmes – Mythologie et littérature, Religions, Politique, etc. – que le catalogue analyse, l’exposition juxtapose époques et provenances. La fleur de lotus, qui s’ouvre le matin et se ferme le soir, est liée dans l’Égypte antique au dieu solaire Rê et apparaît sur des statuettes de la XVIIIe dynastie ou de l’époque amarnienne. On la trouve aussi en Chine dans un Plat à décor de lotus (entre 1796 et 1820) ou dans des bols du XVIIIe siècle. Les tulipes du Panneau de revêtement aux vases fleuris (entre 1585 et 1615), un décor mural de céramique provenant de Damas, répondent à une paire de Vases-pyramides (1700-1725) de la manufacture de Roos à Delft, destinés à recevoir des oignons de la fleur, et à la vidéo Virus de la mosaïque d’Anna Ridler (2019). Cette artiste britannique s’intéresse aux prix exorbitants atteints au XVIIe siècle, en Hollande, par des bulbes porteurs d’un agent infectieux qui modifie la couleur des tulipes. Dans la vidéo, les mouvements sont générés par le cours du bitcoin…

Les commissaires insistent sur le fait qu’il n’existe pas de langage universel des fleurs : elles peuvent être liées au bien comme au mal, au bonheur comme au malheur. D’ailleurs, remarque Valérie Reis, « nous n’avons jamais autant parlé de la mort que dans cette exposition ». Le grand tableau Les Roses d’Héliogabale de Lawrence Alma-Tadema (1888, voir ill.) montre le supplice des convives d’un banquet étouffés volontairement sous une avalanche de fleurs par cet empereur romain. Dans la même salle, des représentations de Narcisse, Hyacinthe et Clytie, personnages des Métamorphoses d’Ovide, et d’Ophélie qui, dans Hamlet de William Shakespeare, se noie en cueillant un bouquet rappellent cette ambivalence. Enfin, les éditions des Fleurs du mal de Charles Baudelaire illustrées par Auguste Rodin et Odilon Redon témoignent du pouvoir des fleurs sur l’imaginaire.