GIVERNY
Sur un thème qui pourrait se révéler fourre-tout et taillé pour la saison, l’exposition fait réfléchir sur la place du jardin dans l’imaginaire des peintres.
Giverny. Entouré d’un jardin ayant obtenu le label « Jardin remarquable » et situé tout près du jardin de Claude Monet à Giverny, le Musée des impressionnismes se devait d’explorer le thème. Les commissaires, Cyrille Sciama et Mathias Chivot, ont pris pour cadre chronologique le dernier quart du XIXe siècle et le début du XXe siècle, allant des impressionnistes aux Nabis en passant par le réalisme.
La première salle, intitulée « Espaces indécis » est troublante car Cyrille Sciama y annonce que, dans certains tableaux, « on ne sait où l’on se trouve, entre terre et ciel, entre marais et forêts ». En observant les œuvres très disparates présentées ici – Un Coin de jardin à l’Hermitage, Pontoise de Camille Pissarro (1877) et Les Fées de Maurice Denis (vers 1891), par exemple –, on finit par comprendre qu’un jardin est une nature habitée comme on habite une maison. Il est chargé d’affects. Ainsi, Baigneuses de Félix Vallotton (vers 1893) n’avait sans doute pas pour cadre un jardin dans l’esprit du peintre, mais le lieu devient un espace intime du fait de la scène qui y prend place.
La suite de l’exposition conforte cette idée : les êtres se fondent dans l’humeur du jardin (le vert sombre pour Deux Femmes dans le jardin d’Alphonse Legros, 1868-1870, dont on nous dit qu’elles sont veuves) ou c’est l’inverse et le jardin semble tenter de se confondre avec le personnage, comme dans Automne, portrait de Lydia Cassatt de Mary Cassatt (1880). Dans les sections intitulées « Absences » et « Rêveries », on comprend que l’artiste a choisi précisément ce lieu pour peindre ces personnages parce qu’il voyait entre eux un accord profond.
Mais qu’en est-il de la salle consacrée aux « Jeux et squares » ? La vie sociale s’y met en scène, y compris dans Le Jardin des Tuileries d’Édouard Vuillard (vers 1894-1895), où l’on ne voit que des arbres, mais si bien rangés qu’on ne saurait ignorer leur rôle dans la vie de la cité. Les « Jardins luxuriants » sont ceux qui débordent du cadre et englobent les personnages (ou le peintre) qui les habitent dans une douce dévoration.
Après cette déclinaison des façons d’investir le jardin, il est étrange de revenir à un thème d’histoire de l’art dans l’espace « Retour vers l’impressionnisme ». Certes, Pierre Bonnard et Édouard Vuillard se rapprochent de la facture impressionniste et, chez le premier – comme chez Monet dont est présenté ici Nymphéas avec rameaux de saule (1916-1919) –, l’abstraction n’est pas loin. Quant à Vuillard, il travaille désormais à partir de photographies. C’est le cas pour L’Allée (entre 1907 et 1908) où il fait le portrait de sa bien-aimée, Lucy Hessel, dans l’allée d’un parc. Mais le plus important n’est-il pas que la femme adorée est représentée dans un jardin magique, douce prison où les branches forment comme un filet autour d’elle, tandis que le chien, s’il témoigne de la fidélité du peintre, ferme aussi le passage devant la promeneuse ? Décidément, pour les peintres et peut-être à leur insu, le jardin est un personnage à part entière.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°570 du 25 juin 2021, avec le titre suivant : Le jardin, un lieu très inspirant