Art moderne

XIXE-XXE SIÈCLES

Le Mucem secoue ses collections

Par Olympe Lemut · Le Journal des Arts

Le 3 juillet 2024 - 715 mots

Une partie des collections liées à la Méditerranée est présentée sous un regard critique, qui ne craint pas de s’affronter aux représentations et stéréotypes attachés à son sujet.

Marseille. Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée : comme le souligne la co-commissaire Marie-Charlotte Calafat, le Mucem porte dès sa création une identité « européenne et méditerranéenne ». Parfois diluée ces dernières années, la double identité constitue le socle du parcours semi-permanent « Méditerranées » qui s’y déroule actuellement. Le président du Mucem, Pierre-Olivier Costa, précise en effet que l’exposition a pour vocation de montrer plus largement les collections, afin de recentrer l’institution sur ses missions initiales. « Les crédits d’acquisition sont désormais tournés vers la Méditerranée ». L’exposition se prolonge jusqu’en 2026 et comptera deux autres volets jusqu’en 2030 : l’initiative s’inscrit donc la durée et découle d’un changement de stratégie.

Un passé fantasmé

Ce premier volet s’attaque aux représentations de la Méditerranée en Europe, et particulièrement aux canons esthétiques fondés par la civilisation gréco-romaine. L’intérêt commun aux cinq commissaires réunis ici pour les cultures populaires apporte une touche d’originalité à un sujet déjà connu. La scénographie de l’exposition joue un rôle important dans le renouvellement du discours savant, en reproduisant celle des musées du XIXe siècle pour la soumettre à un regard critique (murs de couleur pourpre, accumulation de tableaux de genre, vitrines). Les moulages en plâtre de statues grecques et romaines voisinent ainsi avec des œuvres de Théo Mercier qui « déconstruisent le canon esthétique classique », indique l’artiste. Des affiches et cartes postales illustrent aussi comment « la cariatide est devenue un motif populaire au XIXe siècle », rappelle Marie-Charlotte Calafat.

Plusieurs toiles et dessins montrent l’obsession des Européens et des Français en particulier pour les « vues imaginaires de ruines », ainsi que la récupération de ce motif par la photographie : temples de Palmyre (Syrie) et arcs de triomphe romains exploitent la même nostalgie pour un passé « fantasmé », indiquent les commissaires. Ce motif perdure au XXe siècle sous Mussolini qui le politise à l’Exposition coloniale de 1931 avec un pavillon italien inspiré du site de Leptis Magna (Libye). Cette « réactivation de l’architecture antique », ainsi que le co-commissaire Raphaël Bories décrit le phénomène, se retrouve jusque dans les années 1970 sur des affiches touristiques.

Plutôt que de s’attarder sur l’orientalisme, l’exposition choisit d’exploiter les objets vernaculaires, comme des portraits de culturistes français prenant la pose à la manière des discoboles grecs (1904-1907). La culture populaire s’empare ainsi d’éléments de culture antique, au fil des découvertes archéologiques : la Vénus d’Arles trouvée en 1651 alimente au XIXe siècle le motif de l’Arlésienne, réincarnation régionaliste de la perfection antique. Les commissaires puisent aussi dans les archives coloniales : la Vénus de Cherchell (Algérie) suit le même trajet dans l’imaginaire collectif à partir de 1846, sur fond d’érotisme colonialiste (cartes postales de 1930). Ces fantasmes européens reconstruisent en parallèle un âge d’or pastoral qui se décline dans des paysages peints bucoliques en Grèce et en Kabylie (Antoine Gadan) et dans des portraits de femmes kabyles (Marius de Buzon). Là encore, la scénographie révèle l’emprise du discours surplombant, par les affiches vantant les productions agricoles de l’Algérie, par l’obsession des artistes pour les bijoux et coiffures des femmes algériennes et italiennes, et par les collections ethnologiques. Cette seconde partie s’appuie plus sur des pièces ethnographiques que sur des œuvres d’art, un choix dicté par le sujet. Plusieurs vitrines reproduisent ainsi la scénographie du Musée de l’Homme au Palais de Chaillot, tandis que d’autres au contraire cherchent à « éviter l’esprit d’une collection muséale pour faire passer les visiteurs de l’autre côté du miroir », soutient le scénographe Pascal Rodriguez. De miroir il est encore question quand Théo Mercier accroche un miroir déformant au milieu d’archives coloniales, une métaphore efficace.

Cette scénographie faussement muséale s’amuse de la fascination des ethnologues pour les céramiques artisanales d’Algérie, y compris les productions « volontairement exotiques », disent les commissaires, car les femmes s’adaptaient au goût français. La fin du parcours dilue cependant le propos, entre des toiles de Gustave Guillaumet, une reconstitution partielle de l’atelier d’Albert Marquet à Alger et des œuvres de Théo Mercier. L’artiste présente des tableaux de débris prélevés sur le littoral méditerranéen, et une nature morte en onyx inspirée de ces débris (Scories) : après avoir démonté les stéréotypes, cette exposition foisonnante se conclut donc sur une note pessimiste.

Méditerranées. Inventions et représentations,
jusqu’au 31 décembre 2026, Mucem, 7, promenade Robert-Laffont (esplanade du J4), 13002 Marseille.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°637 du 5 juillet 2024, avec le titre suivant : Le Mucem secoue ses collections

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