LA ROCHELLE
Cette rare rétrospective remet à l’honneur un peintre qui offre une image plus réaliste des drames de l’Algérie colonisée et plus respecteuse de sa population que ses confrères orientalistes.
La Rochelle (Charente-Maritime).« Il y a eu beaucoup de rebondissements », lâche Annick Notter, directrice du Musée des beaux-arts de La Rochelle, lors du discours d’inauguration. C’est peu dire que la préparation de l’exposition « L’Algérie de Gustave Guillaumet (1840-1887) », présentée à La Rochelle avant de partir pour Limoges puis Roubaix (La Piscine-Musée d’art et d’industrie), n’a pas été un long fleuve tranquille. L’exposition a ouvert avec une semaine de retard sur le calendrier annoncé en raison du désistement tardif d’un des lieux étapes de la manifestation, le Musée des beaux-arts d’Agen. Surtout, le visiteur la découvre à La Rochelle dans une version réduite. Quelques jours avant le vernissage, la municipalité, alertée par l’effondrement de la corniche d’un château d’eau à l’autre bout de la ville, a ordonné la fermeture du musée. Des récents sondages préalables à une future rénovation avaient révélé la faiblesse de certaines poutres. Au terme d’une nouvelle batterie d’examens, décision a été prise par la Ville de laisser ouvertes les seules salles d’exposition temporaire au rez-de-chaussée (en étayant un mur) mais de fermer le parcours permanent du deuxième étage (1) où devait commencer la présentation. Une vingtaine de dessins, « mineurs » selon la conservatrice, ont été exclus à la dernière minute d’un parcours dont le propos a dû être condensé. En outre, ce rabotage prive de la possibilité d’admirer l’œuvre de Guillaumet au côté de celui de l’artiste auquel il a été si souvent comparé, le Rochelais Eugène Fromentin, largement représenté sur les cimaises du deuxième étage. Tous deux, avec les instruments du peintre mais aussi de l’écrivain, ont fait de l’Algérie colonisée le cœur de leur création.
Malgré ses manques, l’exposition conserve tout son intérêt car elle permet la redécouverte d’un artiste dont la dernière rétrospective remonte à la fin du XIXe siècle.
Souvent célébré au Salon, de 1861 jusqu’à sa mort en 1887, l’orientaliste Gustave Achille Guillaumet a connu une traversée du désert au XXe siècle. Pour la commissaire scientifique et spécialiste du peintre, Marie Gautheron, son œuvre a été éclipsé par celui de Fromentin, bien meilleur écrivain. Publiés à titre posthume, les Tableaux algériens de Guillaumet constituent davantage une illustration écrite de ses tableaux qu’un ouvrage d’ambition littéraire. La peinture de Guillaumet n’a pourtant rien à envier à celle de son aîné. Elle comprend même un tableau qui a l’étoffe d’un véritable chef-d’œuvre, Le Sahara, qui a sidéré le public au Salon de 1868 et a été abondamment commenté à travers le temps. Parfois vue comme précurseuse de l’abstraction ou du surréalisme, cette vision dépouillée et désolée du désert où gît le cadavre d’un dromadaire (prêtée par Orsay comme nombre d’œuvres de l’exposition) a été prise aussi comme sujet d’études postcoloniales pour le vide de son paysage qui refléterait celui d’un territoire ouvert à l’occupation européenne.
L’exposition dessine la trajectoire d’un artiste exclusivement tourné vers l’Algérie où Guillaumet a séjourné pas moins de dix ou onze fois entre 1862 et 1884, parcourant le pays grâce à la protection de l’armée qui lui fournit guides et atelier. Avec La Famine en Algérie, il fait une incursion dans la peinture d’histoire. S’inspirant des Massacres de Scio (1824) de Delacroix, il réalise un sujet d’actualité brûlante, représentant les populations rurales, fragilisées par la dépossession de leurs terres, aux prises avec la famine et les épidémies de 1866-1868. Cette toile monumentale, retrouvée roulée et dans un piteux état dans les réserves du Musée national Cirta de Constantine, a fait l’objet d’une belle restauration pour l’exposition.
Plus que la peinture d’histoire, qu’il délaisse rapidement, ce sont les scènes de genre qui ont assuré le succès de Guillaumet. Celui-ci multiplie les morceaux de vie quotidienne. Comme nombre d’orientalistes, il a traqué les populations préservées du contact européen, restant souvent à une certaine distance de ses modèles. Son regard, qualifié de respectueux, s’observe particulièrement dans les scènes de vie domestique ou de labeur qu’il a pu capter au sein des habitats, où il a été introduit – opportunité rarissime – à la suite de négociation menées par l’autorité militaire. Il y peint des femmes algériennes dans leur intérieur, souvent filant ou tissant, jamais dénudées, loin des clichés de harems orientaux qui furent si souvent diffusés par les peintres. Inégale, la fortune critique de Guillaumet est cependant aujourd’hui plutôt positive dans le pays qui a inspiré sa création, comme en témoigne le passionnant catalogue qui invite sept artistes algériens à commenter l’œuvre de ce peintre méconnu.
(1) Aucune date de réouverture du musée n’a été annoncée. Elle pourrait être reportée à 2019, après les travaux d’installation d’un ascenseur.
jusqu'au 17 septembre, Musée des beaux-arts, 28, rue Gargoulleau, 17000 La Rochelle
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°505 du 6 juillet 2018, avec le titre suivant : Guillaumet sort du désert