LE HAVRE
Sur la Seine, sur la côte et particulièrement au Havre, le peintre a trouvé des paysages mettant à l’épreuve sa vélocité – un nuage passe si vite – et ses talents de coloriste.
Le Havre. Au Musée d’art moderne André-Malraux (MuMa), Albert Marquet (1875-1947) est reçu comme chez lui. C’est que le musée possède désormais trente-neuf œuvres de sa main. La plus récemment entrée dans les collections, Notre-Dame de Paris sous la neige (1916), donnée au musée sous réserve d’usufruit, accueille les visiteurs dans l’exposition. Mais c’est un autre tableau, Le Havre, le bassin (1906), acquis en 2019, qui a donné l’idée à Annette Haudiquet, la directrice alors en place, d’organiser un événement sur les rapports du peintre avec la Normandie. Lumineuse, la toile rappelle que Marquet était un fauve. Un doux fauve, cependant : tout le bas de l’œuvre, plongé dans une ombre d’un mauve éteint, met en valeur la lumière diffuse qui baigne le quai, l’eau et les bateaux, dans le tiers supérieur. La magie de Marquet est là tout entière, avec cette allégresse retenue qu’exprime un marin qui marche vers le bleu pastel de la mer et du ciel.
Les itinéraires normands du peintre que l’on suit en une soixantaine d’œuvres réunies par les commissaires Sophie Krebs et Michaël Debris, commencent en 1903. Henri Manguin, son ancien condisciple de l’École des arts décoratifs, l’emmène au lieu-dit La Percaillerie. Marquet peint une quinzaine d’œuvres et l’on sent qu’il se bat pour trouver les lignes de force du paysage. Il les tient dans Les Trois Toits, la Percaillerie et La Cheminée à la Percaillerie, qu’il organise en aplats autour de la verticale d’une cheminée d’usine. Un point de vue surplombant, une diagonale structurant le tableau : il met déjà au point des règles qu’il gardera toute sa vie.
La deuxième incursion en Normandie a lieu avec un autre proche, le Havrais Raoul Dufy, en 1906. Pour peindre Fête foraine au Havre et Le 14 juillet au Havre, l’artiste utilise des couleurs vives dont il ceint les aplats de traits noirs. Le seul vrai mouvement est celui des reflets sur l’eau dans Le Havre, le bassin du Roy dont les tons rompus annoncent ce qui sera une marque de fabrique, une peinture à la fois mate et lumineuse. Le même été, Marquet et Dufy se promènent vers Trouville, Fécamp et Honfleur. Fait rare, au premier plan de La Plage de Fécamp, il pose deux marins, le visage tourné vers la mer et le ciel gris.
En 1911, c’est Félix Vallotton que le peintre rejoint à Honfleur. Il écrit à Henri Manguin : « Ici, il y a eu quelques jours un temps abominable, maintenant un soleil étoilant. » Comme l’écrit Annette Haudiquet dans le catalogue, « Marquet est bien un artiste “météorologique” ». Dans Marée basse, port de Honfleur, il abandonne la vue en plongée pour donner une large place au ciel tourmenté. En 1912, à Rouen, le temps « extraordinairement changeant » le désole. Venu se mesurer aux motifs de Camille Pissarro, il s’installe dans la même chambre d’hôtel que lui, dont les différentes fenêtres permettent de réaliser des œuvres au point de vue légèrement décalé. S’il a pour principe de peindre fidèlement et rapidement ce qu’il voit, il supprime parfois des éléments du paysage. Entre Le Quai de Paris à Rouen et Rouen. Quai de Paris, la voie ferrée qui longe la Seine a disparu…
Ce n’est qu’en 1927 que Marquet revient en Normandie. La Seine grise, Vieux-Port dit tout du temps qu’il fait : une fois n’est pas coutume, sa brosse y virevolte dans la pâte épaisse pour rendre les tourments du ciel et du fleuve. Pourtant, ces nuages bas font naître des vues magnifiques aux lointains estompés : Rouen, vue de Canteleu, temps gris et La Seine à Croisset près de Rouen.
En 1934, au Havre, Marquet s’attarde sur la vie industrielle du port, les cheminées, les grues. Une huile sur panneau où domine un bleu vif, L’Anse des pilotes, Le Havre, trahit par sa composition son goût pour l’estampe japonaise. Le Quai du Havre, dernière toile présentée dans l’exposition, est une vue lumineuse et animée, avec sa grande publicité murale, son tramway jaune et ses badauds lilliputiens. Non loin sont accrochées deux des dernières œuvres connues peintes en Normandie qui représentent toutes le port de Dieppe en 1937. Dans une palette restreinte de couleurs – beige, mauve, vert –, elles disent comme un doux adieu à cette contrée humide et parfois si difficile à peindre.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°612 du 26 mai 2023, avec le titre suivant : Marquet sous le ciel changeant de Normandie