PARIS
Pour sa réouverture, le Musée d’art moderne de Paris a l’excellente idée de revenir sur l’ensemble des recherches de ce précurseur de l’abstraction lyrique.
Paris. C’est un mur de peinture qui accueille le visiteur, une toile de taille importante, dont le format vertical accentue les trajets dynamiques de coulées colorées qui la traversent de haut en bas. L’œuvre, T1989-K32, date de 1989, l’année de la mort de Hans Hartung (né en 1904). Dans un raccourci fulgurant, quelques petites aquarelles sur papier, réalisées en 1922 à partir de taches d’une grande richesse chromatique, rappellent l’entrée précoce de l’artiste en abstraction. Le choix n’est pas innocent car il participe d’une volonté de présenter l’artiste comme « un précurseur de l’une des inventions artistiques les plus marquantes de son temps : l’abstraction ».
Sans doute, mais encore fallait-il préciser qu’il s’agit de l’abstraction lyrique, qui s’étend en France après la Seconde Guerre mondiale. La première salle de l’exposition met toutefois en scène un ensemble de travaux figuratifs de Hartung – un peu tassé, comme s’il fallait s’en débarrasser rapidement –, dont un autoportrait de fière allure. Cette parenthèse sera suivie d’autres expérimentations dans le domaine de la non-figuration, caractérisées par un graphisme réalisé à l’aide d’une gestuelle libre où l’on trouve déjà toute l’intensité du noir, la couleur fétiche de Hartung.
Le parcours chronologique permet d’observer l’aboutissement de ces tentatives. Les toiles s’agrandissent, des maillages de lignes souples font éclater l’espace de la toile et imposent un rythme saccadé. Peinture fougueuse… une version de l’Action Painting pratiquée par les artistes américains ? Oui et non, et le titre astucieux de la manifestation, « La fabrique du geste », se réfère à la particularité de Hartung : l’écart entre l’effet escompté et le processus employé pour l’obtenir. Ses travaux peints sont d’abord de toutes petites encres qui, après une mise au carreau, sont agrandies et reproduites soigneusement sur une toile. On peut s’étonner de ce système de reproduction, à rebours de l’aspect spontané qui caractérise l’abstraction lyrique, mais le résultat, parfaitement maîtrisé, est d’une élégance extrême. Des œuvres où les fonds noir ou bleu sont animés par des zébrures blanches, incisées dans la chair de la peinture, produisent un effet d’éclair. D’autres sont formées avec des masses flottantes, maintenues par des réseaux denses de stries fluides (T1962-U8, 1962). Situés au cœur de la manifestation du musée, ces travaux impressionnants sont les plus connus de la production picturale de Hartung. La riche rétrospective du Musée d’art moderne montre l’ensemble de ses activités plastiques, y compris, et c’est une très belle découverte, une partie consacrée à la photographie.
À partir des années 1970, l’artiste invente de nouvelles techniques créatrices, basées sur des outils de plus en plus insolites : l’aspirateur inversé, la tyrolienne (machine à projeter l’enduit), des pistolets de carrosserie, des râteaux en éventail, etc. La peinture devient bricolage. Abandonnant l’huile pour l’acrylique, faisant appel à une gamme de couleurs clinquantes, Hans Hartung réalise alors des toiles dans une veine psychédélique. Une liberté sans bornes ou des variations décoratives d’une puissance limitée ?
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°532 du 1 novembre 2019, avec le titre suivant : Le lyrisme maîtrisé de Hartung