OSLO / NORVÈGE
Le Musée national de Norvège consacre à l’artiste norvégienne une exposition sur son travail des années 1950-1975.
Oslo (Norvège). Plus modeste que la rétrospective du Musée d’art moderne de Paris en 2023, l’exposition d’Anna-Eva Bergman – née en 1909 à Stockholm et disparue en 1987 à Grasse – se concentre sur les années 1950-1975. Le parcours s’ouvre toutefois avec un bel autoportrait de 1946, où, l’artiste, isolée sur un fond bleu, fixe le spectateur. Installée en France – à Paris où elle emménage avec Hans Hartung, puis à Antibes –, ses œuvres aux surfaces traversées par des diagonales ou des lignes ondulantes dégagent un fort dynamisme. Bergman, qui s’inscrit au sein de la seconde École de Paris, cherche encore son langage artistique. Parmi ces toiles, un immense triptyque, Composition (1951), longtemps non localisé, acquis par le musée en 2013, est exposé pour la première fois. L’ensemble de ces travaux a en commun une riche gamme chromatique, de nombreux effets de transparence et, de temps à autre, le recours à la feuille d’or qui deviendra pratiquement la signature de Bergman. Puis, une forme épurée fait son apparition dans son registre pictural – une figure noire verticale placée au centre d’un fond dégagé. Les titres, Stèle avec lune (1953) ou Le Tombeau de Théodoric (1960), accentuent l’aspect sombre de cette architecture funéraire mais suggèrent parfois également des éléments naturels – La Grande Montagne (1957). Dès lors, la grande affaire de Bergman devient la nature, une nature d’où tout composant organique est absent ; les êtres humains ou toute trace de végétal en sont exclus. Composée de formes unifiées, de blocs de couleur imposants, bâtie autant que peinte, cette œuvre silencieuse semble taillée dans la matière. Le but de l’artiste est de simplifier, transposer. Elle se préoccupe de la structure et de la forme au détriment du principe de l’imitation. Chez elle, le reflet d’une montagne ou des vaguelettes stylisées suggèrent plus que ne désignent.
Vivant par la suite à Antibes – dans un lieu où se trouve aujourd’hui la Fondation Hartung-Bergman – paradoxalement, sa peinture se nourrit de ses souvenirs du Grand Nord, parfois inspirés par des photographies prises dans les îles Lofoten et le Finnmark. D’une luminosité impitoyable, les plaines, étendues à l’infini, n’ont pour ligne d’horizon que des rêves nostalgiques. L’aspect minéral de ces visions étranges et glacées, comme filtrées par une vitre, est accentué par leur géométrisation, comme avec Montagne transparente (1967), cette paroi menaçante qui occupe toute la surface.
Graduellement, ces formes massives vont se transformer : le vertical devient horizontal avec les paysages de bord de mer ou de lac, le compact s’éparpille en mosaïques scintillantes. Quand la nature se met en mouvement, c’est grâce à un élément qui revient souvent chez Bergman : l’eau. Ce sont tantôt des pluies, un essaim de gouttes d’or, réalisés avec des feuilles de métal découpées, dispersées sur la surface (Pluie, 1974), tantôt des vagues, sous formes de tourbillons décrivant des spirales (Vagues baroques, 1973).
Si la peinture de Bergman, aux couleurs plutôt sombres, est en règle générale sévère, çà et là l’artiste introduit des composants décoratifs comme dans le magnifique Feu (1962), où des feuilles de métal animent la toile, comme une version abstraite d’une œuvre de Gustav Klimt (1862-1918).
Cependant, les annotations qui accompagnent souvent ses travaux indiquent que Bergman est surtout en quête d’une vision cosmique de l’univers – l’artiste parle de piété cosmique – par le biais d’une atmosphère lumineuse ou de certains symboles hérités du romantisme, comme le cercle (Grand rond, 1968, Autre terre, autre lune, 1969). Ainsi, le rapprochement d’une toile comme le Grand Horizon bleu de Bergman, avec la dernière période de Mark Rothko (1903-1970), un peintre qu’elle admire, ne doit pas se limiter à la taille exceptionnelle des œuvres de l’artiste américain ou à une forme du minimalisme pictural qu’il pratique. Avant tout, les toiles de ces deux créateurs dégagent le même sentiment impalpable que l’on nomme le sublime.
24 novembre, Galerie nationale, Nasjonalmuseet – Lynshallen, Oslo, Norvège.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°638 du 6 septembre 2024, avec le titre suivant : Anna-Eva Bergman revient dans le Grand Nord