GENEVE / SUISSE
La rétrospective du centenaire de la mort du peintre suisse aborde son œuvre sous le prisme inédit de la notion artistique du parallélisme en oubliant d’expliquer la théorie et ses principes aux visiteurs.
Genève. « Cette exposition célèbre le centenaire de la mort de Ferdinand Hodler à Genève, relate la commissaire, Laurence Madeline. Né à Berne, il est reconnu et aimé comme le peintre qui identifie la Suisse. On ne pouvait pas échapper à l’événement, mais il fallait prendre en même temps en compte le fait qu’à Genève, tout le monde connaît très bien l’œuvre de Hodler. » Il en est de même à Berne, où partira ensuite l’exposition. Se détournant d’une rétrospective monographique, Laurence Madeline a donc choisi de présenter Ferdinand Hodler (1853-1918) à travers le prisme de la dernière partie de la conférence intitulée « La Mission de l’artiste » qu’il a donnée à Fribourg le 12 mars 1897 devant la société des Amis des beaux-arts. Ce chapitre qui clôt la conférence (publiée ensuite dans le journal La Liberté et aujourd’hui disponible sur le site Internet de la Bibliothèque numérique romande, dans une édition de l’association Les Bourlapapey), titré L’œuvre, développe ce qu’Hodler appelle le parallélisme : le « caractère de beauté » qui se retrouve toujours dans les « éléments dominants des choses qui [lui] ont laissé une impression forte et durable » et « cause d’une grande unité ». C’est une « note d’harmonie » née de la symétrie et du rythme interne à la composition. En conclusion de son exposé, Hodler écrit : « L’œuvre révélera un nouvel ordre perçu des choses et sera belle par l’ordre qu’elle dégagera ».
L’exposition débute par la présentation du manuscrit de cette conférence, dont quelques phrases, ainsi que d’autres tirées des carnets du peintre, ponctuent le parcours. Dans les salles, les sections sont indiquées (« Parallélisme de la création », « Les Principes », « Correspondances », « L’Essentiel »), mais aucun texte ne vient les expliciter et les cartels donnent le minimum d’informations. « Je voulais, précise Laurence Madeline, reprendre le cheminement fait par l’artiste – la contemplation, la délectation – et qu’on entre dans les tableaux d’Hodler sans s’embarrasser d’une chronologie. » Le visiteur trouve les informations essentielles dans le dépliant mis à sa disposition à l’entrée de l’exposition et peut approfondir le sujet grâce à l’audioguide disponible sur l’application gratuite Izi.Travel. On peut cependant craindre que la partie du public la moins familiarisée avec les smartphones n’y ait pas accès.
Le parti pris – qui s’inscrit d’ailleurs dans une mode assez générale – est d’amener le public à la délectation, la connaissance devant venir dans un deuxième temps, en dehors de l’exposition (le catalogue y aidant peu, en l’occurrence). La scénographie correspond, selon la commissaire, au chemin suivi par Hodler lui-même et qui se résume à « simplifier, aller à l’essentiel ; et l’essentiel, ce sont les œuvres ». Pour mettre ces dernières en valeur, c’est à la lumière qu’elle a voulu faire appel : « Le Musée Rath est l’un des premiers bâtiments construits pour être un musée, avec le choix architectural de ressembler à un coffre-fort, sans communication avec l’extérieur. Or, ces œuvres ont été conçues presque toutes en communion avec la nature, absente des salles. J’ai voulu apporter des variations de lumière évoquant le cycle de la journée. C’est volontairement très subtil, le défi étant que ces variations lumineuses n’aient aucun impact sur les tableaux. » Ces éclairages qui, en effet, n’affectent pas les couleurs des tableaux, ne sont pas désagréables mais apparaissent comme un gadget en contradiction avec le postulat consistant à « aller à l’essentiel ».
Restent les œuvres. La présence de la première toile, Le Repos (1879-1880) provenant de la collection Richard Barrett, s’explique, selon Laurence Madeline, par le fait que « les théories d’Hodler reposent sur le mouvement de la marche. J’ai donc voulu montrer ce tableau d’un marcheur qui se repose et qui contemple la nature, car c’est là-dessus que se fonde le propos du peintre. On a ici les deux idées de la marche et de la contemplation. » Sauf que cette explication n’est donnée nulle part – il faut avoir la commissaire près de soi pour le comprendre – et que l’on ne voit pas le parallélisme ici. On le cherche encore dans un mur de portraits et d’autoportraits qui se veut la démonstration du parallélisme du corps humain et forme une série par juxtaposition, de même que les bûcherons, les arbres ou les vues du lac Léman… Que viennent faire là l’Ouvrier philosophe (1884) et Le Bon Samaritain (1886) ? Si beaucoup des œuvres présentées sont des jalons importants de la carrière du peintre, d’autres ne semblent réunies que pour obéir à une association d’idées. Le cas le plus frappant est le parallèle établi par la commissaire entre Le Mettenberg (1912) et le Portrait de Mathias Morhardt (1913). Loin du propos sur les théories d’Hodler, c’est de la pure mise en scène née du rapprochement de deux toiles dont les couleurs sont dans la même gamme et la composition plus ou moins triangulaire.
L’exposition présente des chefs-d’œuvre du peintre illustrant le parallélisme comme La Nuit (1889-1890), Le Jour (1899-1900), La Vérité (1903), L’Émotion (1909-1911) ou Le Lac de Thoune aux reflets symétriques (1909). Mais la notion hodlérienne de parallélisme, déjà difficile à appréhender lorsqu’on le lit, apparaît souvent ici comme un simple prétexte. Le point de vue, intéressant dans le principe, se dissout dans les rapprochements hasardeux. Passée l’euphorie née de la contemplation, il reste l’impression que le fond est sacrifié à la forme.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°504 du 22 juin 2018, avec le titre suivant : Hodler à l’épreuve du parallélisme