Art moderne

Peinture

Ferdinand Hodler, du symbolisme à l’abstraction

Par Maureen Marozeau · Le Journal des Arts

Le 30 novembre 2007 - 786 mots

À Paris, le Musée d’Orsay consacre une importante rétrospective à ce peintre suisse majeur, mais resté jusqu’ici trop méconnu en France.

PARIS - « Hodler est un mystique et un réaliste, dualité qui déconcerte et désoriente la plupart des jugements », écrit Louis Duchosal, poète genevois et ami fidèle de Ferdinand Hodler, peintre suisse qui fait actuellement l’objet d’une rétrospective au Musée d’Orsay, à Paris. À cette occasion, Sylvie Patry, commissaire de l’exposition, a souhaité redonner à Hodler sa juste place au sein des avant-gardes européennes au tournant du XXe siècle. Considéré en Suisse comme le plus grand peintre national, Hodler est souvent classé parmi les artistes typiquement helvètes, tout comme il est rangé dans le tiroir du symbolisme. Or, pour Sylvie Patry, Hodler a « ouvert des voies décisives vers l’abstraction, mais aussi vers l’expressionnisme. » Au XIXe siècle, tandis que l’art français assoit sa suprématie, nombre de jeunes nations s’interrogent sur leur identité artistique propre. Cette quête passe surtout par le paysage et les scènes historiques, comme en témoigne l’Hudson River School aux États-Unis. Ayant fait ses classes auprès de Ferdinand Sommer (1822-1901), peintre thounois spécialisé dans les vues alpestres pour touristes, Hodler joue largement sur la corde sensible du patriotisme, produisant des icônes telles Le Bûcheron (dont une version a été acquise par le Musée d’Orsay en 1995) ou Le Faucheur, et surtout Guillaume Tell – dont le carton n’a pas pu être prêté en raison de sa fragilité. Les paysages de montagne comme les scènes monumentales historiques (Le Serment du Grütli, La Bataille de Morat, dont ne sont présentées ici que des esquisses) ont fait de l’artiste une fierté nationale. Pourtant, Hodler n’a jamais été un peintre officiel. La Nuit – composition symboliste majeure exceptionnellement prêtée par le Kunstmuseum de Berne et restaurée pour l’occasion –, a fait scandale à Genève en 1891, avant d’être achetée avec trois autres chefs-d’œuvre par le musée  bernois dix ans plus tard. La frontalité des personnages, d’une proximité souvent gênante, la nudité sans concessions ou la gravité des expressions vont à l’encontre de toute forme d’académisme.

Artiste sécessionniste ?
Hodler a donc sa place parmi les artistes sécessionnistes. Néanmoins, sa vision dépasse les ambitions décoratives des Viennois – Klimt et al. La dimension philosophique de son art transcende également le réalisme tel qu’il fut pensé par Gustave Courbet. Soucieux d’apporter un sens à son œuvre, Hodler a développé la théorie du parallélisme, un principe philosophique et esthétique fondé sur la répétition de formes semblables. Chaque homme a beau être différent, l’humanité forme un tout, et il en va de même en peinture, qu’il s’agisse des arbres formant une forêt (Le Bois des frères), de pics créant une chaîne de montagnes (L’Eiger, le Mönch et la Jungfrau au-dessus de la mer de brouillard), ou d’hommes assis sur un banc (Les Las de vivre, II). Tandis qu’en Provence, Cézanne synthétise la nature sous forme de cylindres, de sphères et de cubes, Hodler s’attache lui aussi à une vision géométrique en « cubant le paysage » selon les préceptes de son maître, Barthélémy Menn (1815-1893). Et ces deux peintres de développer des principes esthétiques menant lentement mais sûrement vers l’abstraction. Les derniers paysages réalisés sur le lac de Genève, de simples bandes de couleurs juxtaposées, ne sont pas sans évoquer les compositions à venir d’un Mark Rothko ou d’un Morris Louis. Les théories philosophiques, comme l’adoration de la nature ou le panthéisme, y sont alors abandonnées au profit de la synthèse des formes, du colorisme et du rythme des compositions hodleriennes.
Cette rétrospective fait ainsi une très claire démonstration du parcours de l’artiste, en partant de ses compositions symbolistes pour finir avec ses paysages à l’orée de l’abstraction, sans oublier ses saisissants portraits. Une sélection d’œuvres sensiblement identiques se retrouvera dans une autre exposition qui se tiendra au Kunstmuseum de Berne (9 avril-10 août 2008) puis au Musée des beaux-arts de Budapest (9 septembre-14 décembre 2008), mais dont le propos sera centré sur le symbolisme. Pour Sylvie Patry, « l’heure n’est plus à la rétrospective » dans des pays comme l’Allemagne qui apprécient et connaissent l’œuvre de Hodler depuis longtemps. L’exposition « Ferdinand Hodler – Le paysage » qui s’est tenue à Genève et Zurich en 2003-2004 en témoigne. Pour l’heure, la vision du peintre proposée à Orsay est une initiation en elle-même à la théorie du parallélisme de Hodler. Chaque salle aborde son propre thème, les toiles sont différentes, mais leur esprit est identique. Avant de dévoiler sa complexité, la peinture de Hodler fait ici preuve d’une authentique unité.

Ferdinand Hodler

Jusqu'au 3 février 2008, Musée d’Orsay, 1, rue de la Légion d’Honneur, 75007 Paris, tél. 01 40 49 48 14, www.musee-orsay.fr, tlj sauf lundi 9h30-18h, jeudi 9h30-21h45. Catalogue, coédité par le musée et la RMN, 240 p., 220 ill. couleurs, ISBN 978-2-7118-5362-5, 45 euros.

Ferdinand Hodler

- Commissaire : Sylvie Patry, conservateur au Musée d’Orsay - Œuvres : plus de 130 (peintures, œuvres sur papier, photographies) réparties dans une douzaine de salles - Muséographie : Pascal Rodriguez - Soutien financier : Pro-Helvetia, Fondation suisse pour la Culture

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°270 du 30 novembre 2007, avec le titre suivant : Ferdinand Hodler, du symbolisme à l’abstraction

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