Suisse - Art moderne

Gloire nationale

Hodler, le chant du cygne

Au seuil de l'abstraction

Par Éric Tariant · Le Journal des Arts

Le 26 février 2013 - 839 mots

La fondation Beyeler explore l’œuvre tardive de Ferdinand Hodler des années 1913 à 1918. À la limite de l’abstraction, marquée par une palette plus lumineuse et l’apparition récurrente de la figure du cygne, cette période de création est aussi celle où Hodler parvient à se libérer de ses traumatismes.

Bâle - En Suisse, Ferdinand Hodler est une véritable institution. Sa Retraite de Marignan réalisée pour le Musée national suisse de Zurich symbolise à elle seule la politique de neutralité de la Suisse. Le bûcheron et le faucheur, deux de ses thèmes les plus célèbres, se retrouvèrent pendant plusieurs décennies sur des billets de banque. En 1918, ses funérailles eurent presque l’ampleur d’un événement national. Mais son aura internationale n’est pas à la hauteur de sa notoriété helvétique. D’où la volonté des organisateurs de l’exposition, la Fondation Beyeler et la Neue galerie de New York, de donner un coup de projecteur des deux côtés de l’Atlantique sur cette peinture pleine de souffle. L’exposition, qui réunit quelque 80 peintures, se concentre sur son œuvre tardive : sur les années 1913 à 1918 précédant sa disparition qui témoigne de l’importance de l’artiste et de son rôle de pionnier dans la naissance de l’art moderne.

Un lutteur qui brouille les pistes
Qui est Ferdinand Hodler ? Né en 1853 à Bern, il a été marqué par la disparition de tous les membres de sa famille frappés l’un après l’autre de la tuberculose : son père alors qu’il est âgé de 7 ans, sa mère à 13 ans, puis ses cinq frères et sœurs. L’homme s’est construit dans l’adversité. D’où le tempérament de lutteur de cette personnalité forte et originale. « Sa vie était une plaidoirie. Il mettait tout son honneur à s’imposer, à dominer », témoigna le peintre Cuno Amiet, son frère en symbolisme. Massif, la barbe drue, le regard perçant et l’air arrogant, Hodler semble défier le spectateur dans sa série d’autoportraits qui ouvre l’exposition. Il est l’un des peintres qui s’est observé avec le plus de constance et d’intensité. On ne dénombre pas moins de 115 autoportraits à l’huile, et une bonne soixantaine de dessins qui traduisent ses états d’âme et rendent compte du passage du temps sur son visage. Dans plusieurs d’entre eux, il peint ses traits, graves et ridés, à la manière d’un paysage à l’aide de touches courtes, larges et pâteuses. « Hodler est à la fois un mystique et un réaliste, dualité qui déconcerte et désoriente la plupart des jugements », observait son ami l’écrivain et poète Louis Duchosal. Mystique, il veut « extraire de la nature la beauté essentielle » et à cette fin simplifier, éliminer tous les détails, à ses yeux, insignifiants et idéaliser. C’est dans les années 1880 qu’il affirme ses principes de composition basés sur ce qu’il nomme le parallélisme. Il s’agit de reproduire de manière symétrique des formes semblables (rochers, troncs d’arbres, sommets montagneux) pour traduire, dans ses peintures, l’ordre naturel et l’unité profonde du monde. En témoigne notamment la série de paysages figurant les rives du lac Léman. L’horizon est barré par la chaîne du Mont Blanc en robe bleu violet baignée de tonalités jaunes, oranges ou roses, ou auréolée de petits nuages. Des bandes horizontales alignées parallèlement aux plis montagneux jouent sur les variations de lumières du ciel et des eaux du lac, du rougeoiement de l’aube à la pleine clarté du midi. Ses toiles des années 1915-1918 aux horizons illimités sont imprégnées d’une perception panthéiste de la nature. Nul mieux qu’Hodler ne parvient à résumer avec une telle force les pentes des sommets alpins. Ses œuvres confinent à l’abstraction sans jamais franchir la frontière qui conduit à la non-figuration.

Le tournant de 1915
Traumatisme de la guerre, décès de sa maîtresse Valentine Godé-Darel atteinte d’un cancer, 1914-1915 marque un tournant dans l’art de Ferdinand Hodler. Le peintre arrive cependant à se libérer d’une forme de pathos et débride sa palette qui devient soudain plus lumineuse. Les cygnes se multiplient au premier plan de ses vues du lac Léman réalisées depuis la terrasse de son appartement genevois du quai du Mont Blanc. Le cygne, symbole de la grâce, de l’infini mais aussi annonciateur, selon la légende antique, d’une mort prochaine. C’est encore le thème de l’infini que l’on retrouve dans la dernière salle de l’exposition avec sa toile monumentale (446 x 895 cm) Regard dans l’infini. Elle figure cinq femmes aux hanches généreuses, presque irréelles, exécutant d’un pas indécis une danse lente, perdues dans leurs pensées, se détournant du spectateur pour porter leur regard vers l’infini. « Si j’avais encore cent ans à vivre, je continuerais à exprimer les accords, les harmonies de l’humanité. Ce qui nous unit est plus grand que ce qui nous divise », écrivait Hodler dans ses carnets, quelques semaines avant sa disparition.

Hodler

Commissariat : Jill Lloyd (Neue Galerie) et Ulf Küster (Fondation Beyeler)
Nombre d’œuvres : 80

Ferdinand Hodler,

jusqu’au 26 mai. Tous les jours 10h-18h, le mercredi jusqu’à 20h, Fondation Beyeler, Baselstrasse 101, Riehen/Bâle, Suisse, tél. 41 (0) 61 645 97 00, www.fondationbeyeler.ch

Légende photo

Ferdinand Hodler, Autoportrait, 1914, huile sur toile, 43 x 93 cm, Museum zu Allerheiligen, Schaffhouse. © Photo : Museum zu Allerheiligen, Schaffhouse.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°386 du 1 mars 2013, avec le titre suivant : Hodler, le chant du cygne

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