Il y a 200 ans, Champollion élucidait le fonctionnement de l’écriture hiéroglyphique. Grâce à lui, les pharaons allaient sortir de l’ombre. Plusieurs expositions, à Lens, Lyon et Marseille, évoquent cette épopée.
Soudain, un cri fuse : « Je tiens l’affaire ! » En 1822, à Grenoble, Jean-François Champollion surgit dans le bureau de son frère aîné Jacques-Joseph, qui avait dirigé son éducation et continuait de le soutenir avec ardeur dans ses recherches. Il vient enfin de trouver la clé capable d’ouvrir les portes d’un continent nouveau qui porte en lui le secret des origines de notre civilisation : il a saisi le fonctionnement de l’écriture hiéroglyphique. Le 27 septembre 1822, Champollion adresse une lettre à Bon-Joseph Dacier, helléniste et membre de l’Académie des inscriptions et belles-lettres pour l’informer de sa découverte. Cette dernière allait ressusciter l’Égypte des pharaons en ouvrant l’accès aux sources antiques, qui s’étaient perdues à la fin de l’Antiquité. Deux cents ans plus tard, on célèbre cet événement historique du nord au sud de la France, du Louvre-Lens (avec l’exposition « Champollion, la voie des hiéroglyphes ») jus-qu’au Mucem (avec « Pharaons superstars »), en passant par Lyon où le Musée des beaux-arts propose une exposition consacrée aux relations entre Jean-François Champollion et le premier directeur du musée, François Artaud.
De fait, le déchiffrement des hiéroglyphes engendre sans aucun doute une révolution comparable à ce que fut la découverte de l’Amérique en 1492 : il nous fait accoster un nouveau monde, celui de nos origines. Notre fascination pour le pays des pharaons remonte en effet à l’Antiquité : les historiens Hérodote, Strabon ou Diodore de Sicile racontent cette civilisation qu’ils considèrent comme l’origine du monde gréco-romain et de ses dieux, et la Bible ne cesse d’évoquer le pays et ses pharaons, que ce soit le roi Taharqa, mis à l’honneur par la récente exposition « Pharaon des Deux Terres » au Louvre, ou encore le pharaon de Moïse. « Ces mentions sont si abondantes que, longtemps, on a pensé que le déchiffrement des hiéroglyphes permettrait d’avoir accès de plain-pied à la Bible et à ses datations », relève Vincent Rondot, directeur du département des antiquités égyptiennes du Musée du Louvre et commissaire de l’exposition « Champollion, la voie des hiéroglyphes » au Louvre-Lens. Or, au Moyen Âge, ces textes classiques et bibliques deviennent notre ultime fenêtre sur la civilisation disparue des pharaons. L’accès aux sources s’est perdu. À la fin du IVe siècle en effet, le christianisme qui embrassait l’Orient triomphe des dieux égyptiens. L’alphabet a remplacé les hiéroglyphes : l’écriture sacrée qui portait la parole des dieux de l’ancienne religion est désormais bannie. Les monuments et les papyrus deviennent muets. « De grands pharaons voient leur nom effacé des mémoires. Ainsi, Ramsès II, dont on a redécouvert le règne grâce au déchiffrement des hiéroglyphes, est auparavant désigné sous le nom d’un pharaon légendaire et idéal Sésostris, dont la figure amalgame également d’autres rois... », explique l’égyptologue Guillemette Andreu-Lanoë, directrice honoraire du département des antiquités du Musée du Louvre et commissaire associée de l’exposition « Pharaons superstars » au Mucem.
Les pharaons, pourtant, ont œuvré à perpétuer leur souvenir éternel. Les pyramides édifiées dans le désert sont censées assurer la conservation perpétuelle de leur dépouille pour l’au-delà et rappellent également leur souvenir éternel à la mémoire des vivants. Sur les monuments, les statues, les papyrus, leurs noms sont entourés d’une forme circulaire oblongue : un cartouche. Au XVIIIe siècle, l’abbé Barthélemy, qui s’intéresse aux écritures oubliées, comprend que les cartouches signalaient des noms royaux. Cette intuition permettra à un jeune homme né en 1790 à Figeac, une petite ville du sud de la France, de faire sortir de l’ombre les pharaons. L’enfance de ce prodige nommé Jean-François Champollion est marquée par la campagne de Bonaparte en Égypte et la publication des dix-neuf volumes de la Description de l’Égypte par une pléiade de savants de l’expédition, qui attisent la soif de découvrir le secret des hiéroglyphes. Il a 7 ans lorsque les Français trouvent non loin d’Alexandrie la pierre de Rosette, grand bloc de pierre noire gravé d’un même texte, un décret du roi Ptolémée V, en écritures grecque, démotique (l’écriture égyptienne populaire) et hiéroglyphique (l’écriture égyptienne sacrée). Las, la pierre est confisquée par les Anglais. Mais les savants ont eu le temps d’en faire des estampages et des copies. À 10 ans, le jeune Champollion en admire un exemplaire. Son ambition est née. À 18 ans, il obtient une copie de la pierre de Rosette pour commencer à l’étudier. Passionné par les langues anciennes et orientales, Jean-François Champollion aura l’intuition que le copte dérive de l’égyptien hiéroglyphique. C’est ainsi qu’à 32 ans, s’appuyant sur les travaux de l’abbé Barthélemy, ce professeur d’histoire ancienne comprend le fonctionnement des hiéroglyphes. « Ce sont les rois et les reines d’Égypte qui ouvrent la voie à Champollion », observe Vincent Rondot. Parmi les cartouches royaux de la pierre de Rosette, se trouve le nom de Ptolémée, que Champollion lit en le rapprochant de sa translittération en grec. Il le compare avec celui de Cléopâtre, identifié sur un obélisque à Philae, qui présente des lettres communes, pour démontrer que les hiéroglyphes peuvent avoir une valeur phonétique. Par ailleurs, grâce au cartouche de Ramsès II, relevé en 1819 à Abou Simbel, Champollion établit que ces hiéroglyphes-sons peuvent se combiner avec des hiéroglyphes ayant une valeur d’idéogramme : le nom de Ramsès, composé du hiéroglyphe signifiant le signe solaire du dieu Râ, se combine en effet avec les phonogrammes « mès » et « s-s », qui transcrivent plusieurs consonnes, pour former le nom du pharaon Ramsès. « C’est un système complexe, une écriture tout à la fois figurative, symbolique et phonétique, dans un même texte, une même phrase, je dirais presque dans un même mot », explique-t-il ainsi à M. Dacier dans sa fameuse lettre du 27 septembre 1822.
Si les pharaons ouvrent la voie de la découverte de cette Égypte qu’on croyait à jamais perdue, Champollion, en retour, les ramène à la lumière. Certes, on connaissait les noms de la plupart d’entre eux grâce à l’histoire des dynasties établie en grec au IIIe siècle av. J.-C. par un prêtre égyptien, Manéthon de Sebennytos, qui nous est parvenue à travers des copies postérieures, avec nombre d’erreurs et d’inexactitudes. Désormais, on peut confronter ces figures pharaoniques quelque peu théoriques aux sources, et raconter véritablement l’histoire pharaonique. « J’ai vu rouler dans ma main des noms d’années dont l’histoire avait totalement perdu le souvenir, des noms de dieux qui n’ont plus d’autels depuis quinze siècles, et j’ai recueilli, respirant à peine, craignant de le réduire en poudre, tel petit morceau de papyrus, dernier et unique refuge de la mémoire d’un roi qui, de son vivant, se trouvait peut-être à l’étroit dans l’immense palais de Karnak ! », écrit-il à son frère de Turin, où il se rend en 1824 pour étudier la collection du consul de France Bernardino Drovetti, qui vient de rejoindre le musée égyptien de Turin après avoir été refusée par le roi Louis XVIII. Champollion poursuit ce travail de dévoilement en étudiant les collections européennes, comme en témoigne l’exposition que le Musée des beaux-arts de Lyon consacre à la relation amicale et scientifique de Champollion avec François Artaud, premier directeur du Musée de Lyon qui mit à disposition de Champollion des œuvres originales issues du musée et de son cabinet privé. En 1828-1829, enfin, celui qui vient de prendre la direction du tout premier « musée égyptien » au Louvre, d’abord appelé « musée Charles X », part en Égypte, où il relève les inscriptions sur les monuments et les statues, qui dévoilent le pays des pharaons. D’autres savants lui emboîtent le pas. Peu à peu, ce monde lointain et secret devient ainsi plus familier. Alors que lespharaons retrouvent leur nom et leur histoire, en France, en Angleterre, en Italie, en Allemagne, les musées acquièrent les trésors égyptiens, les exposent et les étudient. Le grand public comme les artistes se passionnent pour cette civilisation égyptienne qu’on redécouvre. L’image des pharaons dans les représentations occidentales devient moins conventionnelle, et plus fidèle à la réalité historique : celui qui ressemblait dans les scènes bibliques à un roi de France avec sa couronne, entouré de palmiers, se coiffe peu à peu d’un némès, d’une barbe postiche, en même temps qu’il est affublé de ses sceptres caractéristiques… Il est plus pharaonique ! Le tremblement de terre provoqué par le déchiffrement des hiéroglyphes a en effet bouleversé nos connaissances et notre histoire. « Champollion doit faire face à un certain nombre de résistances, notamment celle de l’Église, qui craint que l’égyptologie ne remette en question la chronologie biblique en faisant remonter la civilisation égyptienne à une époque antérieure au Déluge », explique Vincent Rondot. Mais une fois rassuré, le pape Léon XII deviendra un ardent défenseur de Champollion ! Lorsque Champollion meurt prématurément, à 41 ans, le 4 mars 1832, affaibli par son voyage en Égypte, la route du pays des pharaons est ainsi ouverte. Son frère Jacques-Joseph se charge de publier ses nombreux travaux inachevés, notamment sa Grammaire égyptienne, pour les générations futures, qui prendront son relais. « Champollion n’est pas seulement le père de l’égyptologie. Il est pour nous un collègue, à qui l’on ne cesse de se référer », confie Vincent Rondot. L’exploration continue.
L’exposition "Champollion", au Louvre-Lens
À travers plus de 350 œuvres, sculptures, peintures, objets d’art, documents et arts graphiques, l’exposition « Champollion, la voie des hiéroglyphes » du Louvre-Lens est un des événements de l’automne. Elle présente le cheminement de Champollion pour déchiffrer les hiéroglyphes. Au fil d’un parcours ambitieux et didactique, le visiteur découvre le contexte intellectuel, scientifique, culturel, archéologique, mais aussi politique dans lequel s’inscrit ce savant génial, et contre lequel il doit parfois se battre pour ramener cette civilisation de nos origines à la lumière.
« Champollion, la voie des hiéroglyphes »,
du 28 septembre 2022 au 16 janvier 2023, Musée du Louvre-Lens, 99, rue Paul-Bert, Lens (62). Tous les jours (sauf le mardi) de 10 h à 18 h. Tarifs : 11 et 6 €. Commissaires : Vincent Rondot, Didier Devauchelle, Hélène Guichard et Hélène Bouillon. www.louvrelens.fr
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Et Champollion créa les Pharaons
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°757 du 1 septembre 2022, avec le titre suivant : Et Champollion créa les Pharaons