VENISE / ITALIE
Trois tendances se démarquent : les artistes femmes beaucoup plus nombreuses, le soutien inconditionnel des galeries et le multimédia prisé par les artistes. À Venise, le monde d’après-Covid ressemble beaucoup au monde d’avant.
Venise. Malgré une météo pluvieuse et humide en cette fin avril, Venise semble une ville relativement « étanche » quand on y vient pour la Biennale. Bien sûr, dans les Giardini, le pavillon russe est fermé (à la suite de la démission des artistes Alexandra Sukhareva et Kirill Savchenkov), tandis qu’une place symbolique supplémentaire a été faite à l’Ukraine avec « Piazza Ucraina », une plateforme de solidarité en plein air. Évidemment, le port du masque reste obligatoire dans les espaces d’exposition. Mais alors que cette 59e édition ouvre avec un an de décalage pour cause de pandémie, les tumultes du monde, et notamment ceux de la guerre en Europe, parviennent ici avec un bruit moins retentissant. Cela tient d’une part au caractère immuable, comme hors du temps, de la Sérénissime. Mais également à l’effervescence de ces journées de pré-ouverture, où converge une petite foule cosmopolite nonchalante et curieuse, mélangeant professionnels de l’art, collectionneurs, artistes et amateurs de mondanités. Cette impression de pénétrer dans un sas est enfin renforcée par un intitulé, « The Milk of Dreams » (Le lait des rêves), qui place cette Biennale sous les auspices historiques du surréalisme, sans renoncer à une quête rêveuse d’humanité.
Les artistes femmes, c’est le premier constat, sont à l’honneur de la sélection de l’exposition internationale, où leur nombre est très largement majoritaire et leurs œuvres en majesté, de la Brick House de Simone Leigh placée au début du parcours de l’Arsenal à l’Elephant (1987) de Katharina Fritsch dans le hall du pavillon central, en passant par l’odorante installation Earthly Paradise de la Colombienne Delcy Merelos [lire page 16].
Les Lions d’or aussi leur reviennent : ceux couronnant l’ensemble de la carrière de Katharina Fritsch et de Cecilia Vicuña, mais aussi celui que remporte Simone Leigh pour la meilleure participation à l’exposition internationale, comme celui décerné à Sonia Boyce, représentant la Grande-Bretagne, pour le meilleur pavillon (ils sont cette année 80). Si la liste des participants peu ou pas connus intrigue, le Lion d’argent revient cependant à un artiste qui a déjà fait ses premiers pas sur la scène internationale : Ali Cherri (dont le travail est promu par la galerie Imane Farrès) bénéficie jusqu’au 12 juin d’une première exposition personnelle à la National Gallery de Londres.
L’implication des galeries dans la Biennale se traduit par leur soutien affiché aux projets spéciaux. On a ainsi déjà pu voir chez David Zwirner les sculptures en verre d’Andra Ursuta présentées dans le pavillon central ; la galerie Sprüth Magers a produit l’œuvre immersive de Barbara Kruger ; Victoria Miro est créditée pour la présentation des peintures de Paula Rego ; la Dvir gallery a pris part à l’installation « Terrarium » de Kapwani Kiwanga…
Ce sont encore les galeries qui coproduisent la plupart des pavillons nationaux. On en retrouve aussi plusieurs dans le programme des événements parallèles, où leur contribution participe du rayonnement médiatique de la Biennale, qu’il s’agisse de l’exposition qu’Almine Rech consacre aux tableaux de Claire Tabouret au Palazzo Cavanis, ou de l’exposition de Kehinde Wiley (« An Archeology of Silence ») par la galerie Templon, à la Fondation Giorgio Cini.
Elles se positionnent enfin dans le « off » : Kamel Mennour accompagne la rétrospective d’Anish Kapoor à la galerie de l’Accademia ; Gagosian soutient l’exposition d’une série de peintures inédite d’Anselm Kiefer au palais des Doges… Cette porosité avec le marché est à mettre en regard de l’appui renouvelé à la Biennale de Venise du secteur du luxe, qui s’illustre, par exemple, avec la présentation d’une œuvre, Apollo, Apollo, de Katharina Grosse (2022), dans l’espace Louis Vuitton, ou bien avec la carte blanche confiée par la Maison Ruinart à l’artiste Jeppe Hein, en avant-première au Palazzo Rocca.
L’autre évolution que semble confirmer cette édition est la récurrence des dispositifs multimédia dans les pavillons nationaux. C’est le cas du pavillon français, qui s’articule autour du film de Zineb Sedira. Dans le pavillon belge, Francis Alÿs fait résonner le joyeux chahut de sa série de vidéos sur les jeux d’enfants (« The Nature of the Game »). Dans celui de l’Australie, c’est à un concert plus discordant que convie l’installation visuelle et sonore de Marco Fusinato, tandis que le pavillon roumain propose une mise en scène déambulatoire jouant de plusieurs typologies d’écrans (« You Are Another Me – A Cathedral of the Body »).
Cette dimension filmique, quand elle adopte le principe d’une narration, impose de s’inscrire préalablement à la séance : ainsi du pavillon grec, plongé dans l’obscurité, et où l’on est invité à s’équiper d’un casque de réalité augmentée afin de visionner le voyage d’Œdipius in search of Colonus (Œdipe à Colone, lire page 18).
Pas de NFT, en revanche, à signaler dans cette Biennale, soit que la vague n’ait pas franchi la lagune, soit que cela nous ait échappé. Bien au contraire, la tenue simultanée de la deuxième édition d’Homo Faber (jusqu’au 1er mai), qui célèbre sur l’île de San Giorgio l’excellence de l’artisanat, semble faire écho à un regain d’intérêt dans l’exposition internationale pour la matière : céramique, verre ou textile.
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Une biennale de Venise bien dans le « monde d’avant »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°588 du 29 avril 2022, avec le titre suivant : Une biennale bien dans le « monde d’avant »