VENISE / ITALIE
Le miraculé pavillon ukrainien fait entrer le réel dans la bulle vénitienne, bien plus que le discours métaphorique de certains autres.
Venise. Certains pays – ceux qui n’ont pas la chance d’avoir un pavillon à demeure aux Giardini – sont présents dans des lieux disséminés un peu partout dans le dédale vénitien. Heureusement pour les marcheurs, c’est à l’intérieur ou autour de l’Arsenal, cet autre lieu central de la Biennale, que la grande majorité d’entre eux a trouvé refuge. Celui qui attire le plus les foules est naturellement le pavillon italien. À l’intérieur, intitulée « Histoire de la nuit et destin d’une comète », une œuvre d’art totale, orchestrée par Gian Maria Tosatti, retrace la montée et le déclin du miracle économique italien des années 1960. Le visiteur grimpe dans une pièce exiguë – le bureau du contremaître ? – qui offre une vue panoramique sur une vaste salle où des rangées de machines à coudre forment un paysage industriel abandonné. Puis, le parcours se poursuit avec un bassin d’eau plongé dans l’obscurité ; de temps à autre, de faibles éclairages – comètes dans la nuit ? – crépitent.
Le contraste de ce théâtre du réel avec le pavillon voisin, celui de l’Ouzbékistan, est frappant. Ce dernier, pour sa première participation à la Biennale, est un havre de paix. Les surfaces réfléchissantes en marbre noir, les plantes touffues accrochées au plafond, forment un espace de sérénité, voué à la méditation. Le titre de l’installation, « Jardin du savoir », fait référence à la Maison de la Sagesse de Bagdad, dans laquelle Al-Khawarizmi, un mathématicien ouzbek réputé, a été, vers 850 de notre ère, à l’origine de la première classification des algorithmes. S’il savait…
Sans prétendre à une quelconque continuité de forme ou de contenu, le pavillon de la Nouvelle-Zélande où Yuki Kihara se fait le porte-parole de la cause indigène mérite une étape. Baptisées ironiquement Paradise Camp, les photos et les vidéos traitent du problème de la décolonisation. En faisant référence aux tableaux de Paul Gauguin et à de très jeunes femmes dénudées et offertes, l’artiste critique le regard que l’Occident continue à garder sur des wahines maoris. Le thème des minorités autochtones, dont la culture est rarement représentée dans les hauts lieux artistiques, revient souvent à la Biennale – « Until the Songs Spring » (Mexique) ou Inclusion, un titre qui renvoie à la notion de multiculture (Guatemala, pavillon à la Giudecca).
Si les installations et les vidéos dominent cette partie de la Biennale, la peinture n’y est pas absente. Ainsi, l’artiste qui représente la Slovénie, Marko Jakse – « Without a Master » – s’inscrit dans le thème de l’exposition internationale, le surréalisme. Ses toiles, aux formats imposants, figurent un monde fantastique, où cohabitent des êtres et des animaux hybrides, entourés de formes étranges qui semblent ignorer les lois de la gravité. Ailleurs, dans le pavillon du Luxembourg, avec « Faraway So Close », Tina Gillen hésite entre figuration et abstraction. Paysage d’ailleurs ou architecture bidimensionnelle, des arbres ou des maisons flottantes, réalistes et artificielles à la fois, ses toiles évoquent un décor théâtral.
Ailleurs encore, deux visions de la nature. La première, au titre explicite, I Pity the Garden par la Géorgienne Mariam Natroshvili, est une vidéo où l’œil se promène le long des avenues rectilignes d’une ville futuriste, bordées de maison-cubes. Dans ce désert urbain, le sol recouvert d’asphalte ne laisse aucune place à la moindre parcelle de nature. La seconde, Perpetual Motion, qui laisse un peu d’espoir, est celle d’un Islandais Sigurour Guojonsson. Dans une salle très haute, une vidéo projetée sur un écran vertical est comme un courant ininterrompu, un tourbillon d’énergie – l’eau ? – qui happe le spectateur.
La Biennale n’échappe pas à la politique. Parfois, c’est la dérision qui introduit la transgression. En nommant l’ensemble de ses toiles « From Scratch », autrement dit un nouveau départ à partir de rien, l’artiste albanaise Lumturie Blloshmi remonte le cours de son histoire et de l’histoire de son pays. Durant vingt ans (1968-1988), elle a réalisé de nombreux autoportraits et se cantonnait au dessin dans le cadre d’une maison d’édition de livres scolaires, traversant ainsi discrètement la période du réalisme socialiste. Ses dernières œuvres – l’artiste est morte du Covid en 2020 – sont d’un matiérisme puissant, bien différent de son style antérieur imposé par le pouvoir (La Chaise, 2002).
Plus violente est l’installation du pavillon libanais où Ayman Baalbaki et Danielle Arbid mettent en scène la double réalité de cette ville martyre, Beyrouth. D’une part, une vidéo montre dans cette capitale une circulation frénétique, comme si la vie y continuait normalement. Toutefois, sur un fond de bruit de voitures, on entend le témoignage désespéré d’une victime de l’inflation galopante, incapable de rembourser ses dettes. D’autre part, c’est la destruction de la ville, que l’on observe à partir des décombres d’une architecture en bois, visiblement mise à mal pendant la guerre civile par les bombardements.
C’est l’œuvre de l’artiste ukrainien Pavlo Makov, La Fontaine d’épuisement [voir ill.], partiellement et miraculeusement arrivée à Venise, qui rappelle le plus la dramatique actualité. Sur le côté, un écriteau indique : « On fait l’impossible pour acheminer à la Biennale les archives qui font partie de cette œuvre. » Tout est dit. À quelques pas de là, les travaux discrets de l’artiste turque Füsen Onur, des centaines de minuscules et fragiles figurines, posées sur des plateaux accrochés à différentes hauteurs, flottent comme une myriade délicate. Le titre ? « Il était une fois ».
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L’Italie et l’Ukraine, stars des « autres » pavillons
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°588 du 29 avril 2022, avec le titre suivant : L’Italie et l’Ukraine, stars des « autres » pavillons