VENISE / ITALIE
Son installation dans le pavillon français, récompensé par la Biennale, est une mise en abyme cinématographique de sa propre histoire et de celle de l’Algérie.
Venise. Ce ne sera pas un Lion d’or, mais une mention spéciale. « En reconnaissance et en remerciement pour le long échange d’idées en cours, la solidarité et l’idée de construire des communautés dans la diaspora. Et aussi pour avoir regardé l’histoire complexe du cinéma au-delà de l’Occident et pour les nombreuses histoires de résistance dans son travail. » Le 23 avril, le jury de la 59e Biennale de Venise a décidé de décerner une récompense exceptionnelle au pavillon français pour l’installation de Zineb Sedira « Les rêves n’ont pas de titre » (« Dreams have no Titles »). L’artiste, qui vit et travaille à Londres depuis le milieu des années 1980, s’est entourée de trois commissaires (Yasmina Reggad, Sam Bardaouil et Till Fellrath) pour aborder sa mission d’ambassadrice d’un pays avec lequel elle entretient une certaine distance. Au cœur de son travail de vidéaste se trouve en effet une quête identitaire motivée par son parcours géographique, entre cette France où elle a grandi, l’Algérie où sont nés ses parents, et l’Angleterre où elle a choisi d’étudier l’art, puis de s’installer. Marquée par une forte dimension autobiographique, l’œuvre de Zineb Sedira l’est également par une réflexion postcoloniale à laquelle elle ne se réduit pas, mais revient souvent.
Installation immersive, « Les rêves n’ont pas de titre » se présente comme une succession de plateaux de tournage, précédant une salle de projection où est diffusée sur grand écran la vidéo qui donne son titre à l’ensemble. Accueillis dans la reconstitution du dancing Art déco du Bal, le long métrage d’Ettore Scola, les visiteurs du pavillon découvrent ensuite une pièce où s’empilent des boîtes métalliques rondes de bobines de films, avant de passer dans le salon du réalisateur [voir ill.]. Avec son mobilier vintage, ses plantes vertes, ses affiches de films, sa bibliothèque en fac-similé et son téléviseur diffusant une interview en plan serré, cette reproduction à l’identique de son intérieur domestique rappelle le diorama de Way of Life, montré pour la première fois lors de l’exposition de Zineb Sedira au Jeu de paume (« L’espace d’un instant », 2019-2020). Renforçant l’effet de mise en abyme, une maquette à l’échelle 1/10 reprend à la façon d’une maison de poupée le même agencement, au détail près d’une effigie en carton de l’artiste debout entre deux canapés. Fiction, archives audiovisuelles, trajectoire existentielle… On l’aura compris, tout ici tourne autour du cinéma, de ses simulacres et du désir de filmer. Ajoutons que Le Bal, d’Ettore Scola, sorti en 1983, est un long métrage franco-algéro-italien.
Car l’installation de Zineb Sedira a eu pour point de départ les films coproduits entre la France, l’Italie et l’Algérie dans les années 1960, un fait dont elle a pris connaissance en plongeant dans les archives de la Cinémathèque d’Alger. Ces coproductions s’inscrivaient alors dans un mouvement tiers-mondiste de solidarité entre les peuples, une notion chère à Zineb Sedira qui croit aux débats d’idées, aux échanges créatifs et aux amitiés sincères. « Mais aussi à ce que les Anglo-Saxons appellent “the sharing of knowledge” (le partage de connaissances), explique-t-elle. En montrant mes découvertes, je les partage, notamment s’agissant des archives algériennes, plus difficiles d’accès. »
L’installation entremêle ainsi des extraits de longs métrages, des remakes de scènes de films interprétés par les commissaires du pavillon ou l’artiste elle-même, des séquences de making of et des images de sa propre vie. Le tout compose une « fiction-réalité » qu’accompagne un commentaire en voix off lu par Zineb Sedira, déroulant son itinéraire et mettant en perspective la migration des Algériens puis la sienne, vers l’Angleterre, et la communauté artistique et intellectuelle qu’elle a constituée autour d’elle. Sonia Boyce, qui compte parmi ses amis de longue date et a remporté le Lion d’or pour le pavillon britannique, apparaît dans l’installation au détour d’un entretien filmé avec la commissaire et autrice Gilane Tawadros. L’artiste britannique parle notamment du terreau artistique fertile des squats londoniens des années 1970 et 1980, mais aussi de l’ambivalence « à faire partie du système tout en étant un activiste culturel ».
Plutôt qu’un catalogue classique, Zineb Sedira a par ailleurs souhaité que ce soit trois publications plus proches du format de la revue qui documentent son installation. Chacune porte le nom d’une ville. Alger, Paris, et Venise, troisième opus dont la couverture résume le programme : « Conserve, Show, Restage, Revivify » (conserver, montrer, remettre en scène, revitaliser). Or, si « Les rêves n’ont pas de titre » séduit par la sophistication de son dispositif, qui incite en effet à une spéculation imaginaire, le film déçoit en revanche par la platitude pédagogique de son propos. On mesure la somme de travail, le sérieux de l’étude, l’ambition de cette intrication d’images. On aimerait cependant n’avoir à en savourer que la quintessence, comme y avait si bien réussi la série « Small Axe » (2020) du réalisateur et plasticien Steve McQueen, autour de la communauté antillaise dans le Londres des années 1960 à 1980. L’humour, par petites touches, vient heureusement alléger la démonstration et on reconnaîtra aussi au travail de Zineb Sedira, plus nostalgique que contestataire, une qualité de bienveillance réconfortante en ces temps troublés.
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Au Pavillon français, Zineb Sedira projette son « Algérie »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°588 du 29 avril 2022, avec le titre suivant : Au Pavillon français, Zineb Sedira projette son « Algérie »