Résidences d’artistes

ENTRETIEN

Bénédicte Alliot : « la Cité des arts a désormais une identité forte »

Directrice de la Cité internationale des Arts à Paris

Par Olympe Lemut · Le Journal des Arts

Le 16 avril 2025 - 1036 mots

À l’occasion des 60 ans de la Cité internationale des arts, la directrice du plus grand centre de résidences d’artistes au monde fait le point sur son évolution et ses spécificités.

Bénédicte Alliot. © Maurine Tric © Adagp Paris 2025
Bénédicte Alliot.
© Maurine Tric
© Adagp Paris 2025

Bénédicte Alliot, titulaire d’un doctorat en études anglophones, a été maîtresse de conférences à l’université Paris-Diderot jusqu’en 2002. De 2002 à 2006, elle a dirigé l’Institut français d’Afrique du Sud à Johannesburg, puis a occupé le poste d’attachée culturelle à l’ambassade de France en Inde, à New Delhi, jusqu’en 2010. Elle a ensuite dirigé le pôle Saisons culturelles à l’Institut français de Paris. Avant de prendre en 2016 la direction de la Cité internationale des Arts à Paris, résidences d’artistes qui travaillent le domaine des arts visuels, du spectacle vivant, de la musique ou des écritures.

Quelles sont les spécificités de la Cité internationale des arts par rapport aux autres résidences d’artistes ?

Clairement, c’est le nombre d’artistes accueillis, soit 1 000 à 1 200 par an. Nous sommes le plus grand centre de résidences d’artistes au monde, nous avons 325 studios sur deux sites [l’un dans le Marais, l’autre à Montmartre], et au total [une surface de] 37 000 mètres carrés. Les résidences durent de trois mois à un an, voire deux pour les artistes en exil, avec souvent jusqu’à 300 artistes accueillis simultanément. Et nous accueillons des artistes de toutes générations, qu’ils soient émergents ou plus confirmés, certains programmes sont d’ailleurs réservés aux artistes à mi-parcours.

Nous développons aussi l’accompagnement des artistes. La Cité, c’est un village international, une communauté. Avec une question centrale : comment accueillir ces artistes à Paris, qui redevient capitale des arts à l’international ? Je pense que, s’il y a un tel foisonnement de résidences d’artistes en France, c’est parce qu’il y a de la place pour tout le monde et que ces lieux sont complémentaires. Par exemple ici nous sommes une résidence de recherche et de création, nous ne sommes pas dans une logique de production [pas d’obligation pour les artistes de produire une pièce à l’issue de leur résidence, ndlr]. Et nous ne sommes pas sur une politique de marché de l’art, même si nous collaborons avec les acteurs du marché, galeries et foires.

Est-ce qu’il existe ailleurs en Europe un lieu équivalent ?

Le modèle de la Cité, sa pluridisciplinarité et son échelle sont uniques. Mais à ma connaissance, le lieu qui s’en approche le plus, c’est le Bethanien à Berlin. Ils ont eux aussi un financement mixte de leurs programmes et proposent des ateliers-logements aux artistes [25 ateliers]. En 2022, nous avons cofinancé un programme avec eux et le Goethe-Institut destiné aux artistes ukrainiens.

La Cité internationale des arts
La Cité internationale des arts, rue de l'Hôtel de Ville (Paris 4°)
Photo Diane Arques, 2015
Quels sont les principaux soutiens financiers de la Cité, fondation reconnue d’utilité publique depuis sa création en 1965 ?

La Cité avait en effet un statut atypique dans le paysage culturel des années 1960, et l’a toujours aujourd’hui. Actuellement nous avons deux cents partenaires publics et privés qui nous soutiennent, en plus de la Ville de Paris et de l’État qui abondent une partie du budget de fonctionnement. D’ailleurs nous levons régulièrement des fonds pour les investissements, comme pour la rénovation de l’auditorium [restauré pour la première fois, ndlr], et pour celle d’une quinzaine d’ateliers-logements par an. Notre budget est de 6,5 millions d’euros, et la partie consacrée aux programmes de résidence est même en augmentation ces dernières années, de même que le mécénat. Nous travaillons étroitement avec le ministère de la Culture, avec qui les relations sont très bonnes, et j’ai eu des discussions régulières avec tous les derniers ministres de la Culture. Plusieurs collectivités nous soutiennent également. Certains de nos partenaires historiques ont redéfini leur soutien pour le renforcer, comme l’Académie des beaux-arts avec qui nous construisons des programmes pour les artistes visuels et les chorégraphes.

La Cité est-elle aujourd’hui identifiée comme un acteur important du secteur culturel ?

À mon arrivée en 2016, je pense que la Cité, avec ou malgré son volume d’ateliers de résidence, avait une identité un peu floue, voire ringarde. Les gens ne comprenaient pas ce qu’était la Cité, et ceux qui venaient voir les expositions venaient surtout pour leurs amis artistes. Nous avons mis en place une politique éditoriale de la programmation, et avons instauré les soirées hebdomadaires « Ateliers ouverts » sur notre site du Marais, lesquelles sont devenues un repère culturel. J’ai aussi travaillé sur la communication, car à l’époque il n’y avait personne pour s’en charger : j’ai créé un poste dédié. La Cité a désormais une identité forte, et nous voulons défendre l’« international » [figurant] dans notre nom. Mais en France il est difficile de se positionner sur l’international en dehors de la vision du marché de l’art. Ce qui ne nous empêche pas de monter des programmes pour les artistes autochtones au Canada par exemple. Heureusement, j’ai la chance d’être soutenue par un président de conseil d’administration formidable, Henri Loyrette.

J’ai aussi constaté à mon arrivée une absence de récit sur les archives de la Cité, qui expliquait le flottement autour de son identité. C’est pourquoi nous avons organisé plusieurs expositions avec ces archives, dont l’actuelle qui porte sur les 60 ans de la Cité : depuis sa création, elle a quand même accueilli 35 000 artistes. Paradoxalement, nous sommes bien identifiés à l’étranger, et je reçois plus de ministres et officiels étrangers que français ! Mais ces dernières années j’ai réussi à convaincre les Instituts français de monter des programmes de résidence destinés aux artistes d’Algérie, du Cameroun ainsi que d’Indonésie.

À ce propos, la Cité accueille-t-elle aussi des artistes français ?

Bien sûr, Serge Gainsbourg lui-même a été en résidence ici en 1966 ! [La sculptrice] Louise Bourgeois aussi… Nous faisons de la prospection dans toutes les scènes artistiques, y compris en France. Par exemple, nous montons des programmes pour les outre-mer françaises, et le ministère des Outre-mer nous soutient depuis 2020. À part ceux des arts visuels, les autres artistes français figurant dans nos programmes sont majoritairement des musiciens, pour des raisons pratiques, car il leur manque des lieux d’expérimentation et de travail. Et nous avons une demande importante des artistes d’Ile-de-France où ils ne disposent de beaucoup de lieux de résidence. Pour ceux du reste de la France, la Cité permet de se construire un réseau et de rencontrer des artistes du monde entier.

Dans 60 ans : le relais,
jusqu’au 12 juillet, à la galerie de la Cité internationale des arts, 18, rue de l’Hôtel-de-Ville, 75004 Paris, mercredi 14h-21h, du jeudi au samedi 14h-19h.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°653 du 11 avril 2025, avec le titre suivant : Bénédicte Alliot, directrice de la Cité internationale des Arts à Paris : « la Cité des arts a désormais une identité forte »

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