Histoire de l'art

Comment peindre la tempête ?

Par Maxime Georges Métraux · Le Journal des Arts

Le 10 avril 2025 - 661 mots

Les peintres de Renaissance se sont affrontés à la représentation de ces phénomènes, une question dont Pascale Dubus a analysé finement la portée.

Publié à titre posthume, l’ouvrage Les Météores s’ouvre sur trois vibrants hommages rendus à Pascale Dubus (1959-2021), spécialiste du maniérisme italien, de la théorie de l’art et de l’iconographie d’« objets insaisissables », tels que la mort ou l’instantanéité. Cette figure atypique de l’histoire de l’art, maîtresse de conférences HDR à l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne, était connue pour pour son engagement. Venant parachever un riche corpus de publications, cet ultime ouvrage est l’aboutissement d’un déférent travail d’édition mené par Thomas Golsenne.

Fruit d’une longue et patiente recherche, la réflexion présentée par Pascale Dubus se concentre sur l’histoire et l’analyse des « phénomènes météorologiques qui apparaissent dans la peinture de la Renaissance, c’est-à-dire les “météores”, le terme grec qui désigne [alors] les phénomènes qui affectent la zone comprise entre la Terre et la Lune, selon la cosmologie d’Aristote ». Sous cette appellation se trouvent ainsi regroupés les orages, les pluies torrentielles, les déluges, mais également les éclairs, les arcs-en-ciel ou encore les crues, les inondations…

La première partie est consacrée au traitement de ce sujet dans la littérature artistique de l’époque. Les tempêtes et météores étant jugés comme difficilement représentables, ils permettent aux peintres et aux théoriciens de l’art d’évoquer le problème des limites de la mimesis. Ils abordent également le Paragone, à savoir un important débat sur la prééminence de la peinture sur la sculpture et la poésie, en particulier. L’autrice analyse avec précision les écrits, entre autres, de Léonard de Vinci. Elle s’intéresse de surcroît à la réception de certaines œuvres dont le Déluge de Paolo Uccello ou encore Saint Marc, saint Georges et saint Nicolas sauvant Venise des démons, de Palma Vecchio.

La deuxième partie traite d’un corpus de 190 tableaux et fresques. Pascale Dubus permet au lecteur, informé de la méthodologie, de comprendre la manière dont procède l’historien de l’art dans son travail tant pratique que théorique. Elle revient sur l’état et le développement des savoirs météorologiques à la Renaissance, puis se livre à de passionnantes études de cas avec l’arc-en-ciel, la fortune maritime, le Déluge mais aussi le « Passage de la mer Rouge », et enfin la représentation de la foudre et des éclairs.

La dernière partie de l’ouvrage est consacrée à la typologie très spécifique des « tempêtes énigmatiques », dont la plus célèbre d’entre elles, La Tempête de Giorgione [voir ill.]. Grâce un important travail de définition du corpus, elle offre un nouveau regard sur l’œuvre et ouvre des perspectives originales sur celle-ci, dans la manière d’envisager son sujet, sa réception et sa dimension sexuelle.

Aujourd’hui, les recherches de Pascale Dubus trouvent un écho avec nos préoccupations. Comme le souligne Thomas Golsenne dans sa préface, « l’irreprésentable météorologique a changé de nature : si à l’époque de Vasari, il s’agissait de la tempête, pensée comme une limite de la peinture, aujourd’hui, les climatologues et les activistes écologistes se demandent comment rendre sensible un phénomène aussi massif que le changement climatique ». Selon lui, si les images de ce dernier « n’effraient pas suffisamment l’opinion publique et les responsables politiques des pays occidentaux, pour produire des changements massifs […], c’est peut-être du fait de la lointaine construction historique, en Europe au XVIe siècle, d’un regard porté sur ces phénomènes qui les transforme en spectacle effrayant et admirable ».

Bien que souffrant parfois de son caractère inachevé, cet ouvrage est un modèle dans la conduite d’une réflexion mêlant textes et images. Avec exigence et finesse, Pascale Dubus fournit une « matière à penser » qui ne manquera pas de stimuler les lecteurs. Cette personnalité singulière a fièrement poursuivi l’héritage de ses maîtres que furent Louis Marin, Hubert Damisch et Daniel Arasse. Nul doute que le flambeau qu’elle laisse sera repris par une nouvelle génération qui s’inscrira dans ses pas et les prolongera. Ses successeurs pourront compter sur l’appareil critique soigné ainsi que sur les annexes bien pensées de cet ouvrage, l’instituant comme un véritable usuel auquel s’abreuver régulièrement.

Pascale Dubus, Les Météores : peindre la tempête à la Renaissance,
édition établie par Thomas Golsenne, avec la collaboration de Maurice Brock, Sylvain Dubus, Corinne Lucas Fiorato et Catherine Vermorel, Genève, Droz, 264 p., ill.,39 €.

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°653 du 11 avril 2025, avec le titre suivant : Comment peindre la tempête ?

Tous les articles dans Création

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque

GESTION DES COOKIES