Lauréate du Prix SAM pour l’art contemporain 2009 [initiative privée lancée par SAM Art Projects afin de soutenir un artiste contemporain], Zineb Sedira (née en France en 1963) bénéficie à ce titre d’une exposition dans un Module-Fondation Pierre Bergé-Yves Saint Laurent du Palais de Tokyo, à Paris. Elle y présente Gardiennes d’images (2010), un nouveau projet filmique qui revient sur la figure et le travail de Mohamed Kouaci (1922-1996), photographe connu pour ses travaux sur la révolution algérienne.
Frédéric Bonnet : Pourquoi êtes-vous intéressée à la figure de Mohamed Kouaci ?
Zineb Sedira : Cela fait suite à mon travail sur l’histoire de l’Algérie, et sur l’histoire orale également. Cela a trait aussi au thème de la mémoire que j’ai aussi exploré dans le passé. En rencontrant il y a un an sa veuve, Safia, et en découvrant les archives, j’ai pensé que je devais absolument travailler [sur ce matériau], tout en espérant que cela susciterait un intérêt et une aide pour sauvegarder ces documents et donner une visibilité à la photographie de Mohamed Kouaci.
Frédéric Bonnet : Donner la parole à sa veuve pour exhumer ce travail, était-ce pour vous une décision logique ?
Zineb Sedira : La raison pour laquelle j’ai pensé à Safia Kouaci est tout simplement sa parfaite connaissance des archives. Elle connaît chaque image et toutes les histoires qui sont derrière, elle a travaillé avec lui à l’époque de la révolution. Elle l’a connu très jeune, l’a suivi et accompagné du début à la fin de ce parcours révolutionnaire. Elle pouvait donc aussi, hors contexte photographique, parler de leur histoire à tous deux, de leur rencontre, etc.
Frédéric Bonnet : Votre travail repose sur la mémoire et la transmission. Qu’est-ce qui vous a conduit d’emblée à vous intéresser à ces questions-là ?
Zineb Sedira : J’ai travaillé au départ avec ma famille, avec mes parents et mes enfants, et la première œuvre qui m’a fait développer cet intérêt est Mother Tongue (2002), qui porte sur la transmission de la langue maternelle d’une génération à l’autre, au travers de ma mère, moi-même et ma fille. Ensuite, dans Mother, Father and I (2003), j’ai fait parler mes parents sur la guerre d’Algérie et leur arrivée en France en tant qu’immigrés ; là encore c’est une histoire orale assez poussée. Je crois que cela vient également du fait que mes parents ne savent ni lire ni écrire. Ils font partie de cette génération qui, pendant l’Algérie française, a grandi dans des campagnes où il n’y avait pas du tout d’accès à l’école, ni française ni arabe. Nous avons donc grandi avec cette histoire orale dans la famille. C’était leur manière à eux de transmettre et de préserver la mémoire familiale, les traditions… Quand je suis devenue mère moi-même, je me suis posé cette question de la transmission à mes enfants, par rapport à ma culture française et algérienne. Et puis, en devenant artiste, en exposant de plus en plus et en réalisant toujours plus d’œuvres, je me suis demandé, quand je ne serai plus en vie, comment mes enfants vivront cet héritage visuel de mes œuvres. J’ai la chance de pouvoir en parler avec eux, de les préparer un peu. Mais dans le cas de Safia et Mohamed Kouaci, ils ne se sont pas rendu compte qu’il fallait léguer à quelqu’un, préparer le terrain pour ces archives.
Frédéric Bonnet : Dans le film, Safia Kouaci a cette phrase : « Quand on est proche d’une personne, on a du mal à parler d’elle. » Cela pose la question de l’importance du témoignage et aussi celle de la véracité historique lorsqu’on se situe dans le champ affectif. Comment appréhendez-vous cela ?
Zineb Sedira : C’est évident, et en plus, avec l’âge, Safia Kouaci, avait tendance à perdre la mémoire. Quant à la véracité, j’ai vraiment voulu qu’elle parle de choses familiales et personnelles et je n’ai pas voulu entrer dans de grands débats politiques. Je l’ai interviewée à propos de cette position politique de l’époque, du gouvernement, etc. Mais j’ai décidé de ne pas l’inclure car, effectivement, elle peut se tromper sur des faits, des dates ou des noms. Je suis donc restée sur le personnel, sur ce dont elle se souvient – Paris, certaines activités, des rencontres – tout en sachant que, même si elle avait confondu un nom, ce n’était pas très grave car ce n’était pas un fait historique ou politique, mais plutôt de l’ordre de l’affectif ou de l’amitié. Je voulais vraiment explorer le côté intime de leur relation, et montrer également l’affection portée à cet homme. Cette œuvre est aussi une très belle histoire d’amour.
Jusqu’au 2 janvier 2011, Palais de Tokyo, 13, avenue du Président-Wilson, 75116 Paris, tél. 01 47 23 54 01, www.palaisdetokyo.com, tlj sauf lundi midi-minuit. Après avoir été montrée cette année à l’École municipale des beaux-arts-Galerie Édouard-Manet à Gennevilliers, Zineb Sedira expose également au MAC-Musée d’art contemporain de Marseille jusqu’au 27 mars 2011.
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Paroles d’artiste - Zineb Sedira
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°337 du 16 décembre 2010, avec le titre suivant : Paroles d’artiste - Zineb Sedira