L’Exposition universelle laisse le goût d’un divertissement gastronomique sans véritable démonstration. Un inachèvement que vient combler la scène artistique milanaise en marge de l’événement.
Les Anglais l’appellent World’s fair. De fait, il s’agit d’une grande foire. À Milan, 145 États sont présents. 54 d’entre eux ont conçu des pavillons nationaux (en théorie, avec un bilan carbone neutre), tantôt élégants, tantôt kitsch, souvent tape-à-l’œil. D’autres participent à un des « clusters », pavillons thématiques regroupant entre trois et six pays (ceux ne pouvant pas financer un pavillon national) autour d’un thème commun : riz, cacao, café, zones arides… Partout l’on goûte, mange, boit, achète. Entre les parcours, un peu de lecture. Comme l’on marche énormément, l’on boit, mange de nouveau.
Les exposants de la Rho Fiera (l’espace urbain réhabilité du nord-ouest de Milan où plus de cent hectares sont dévolus à la manifestation) ont pour thème imposé par le Bureau international des expositions (BIE) : « Nourrir la planète, énergie pour la vie ». Une question souvent traduite en : « Comment nourrir 9 milliards d’êtres humains en 2050 » ? La réponse impliquerait une réflexion monumentale, complexe et concertée sur la durabilité et la productivité de tous les maillons de la chaîne alimentaire, de l’agriculture et l’élevage à la distribution, en passant par l’agronomie et toute l’organisation de l’industrie agroalimentaire. Une réponse forcément scientifique et politique. Cette ambition colossale, les discours introductifs n’ont pas manqué de s’en réclamer. L’exposition doit d’ailleurs conduire à l’élaboration d’une charte, dont les contours restent à définir. Ces belles intentions ont sans doute été accentuées pour légitimer une manifestation coûteuse (3 milliards d’euros d’infrastructures) et entachée de scandales de corruption.
Trop peu d’initiatives pertinentes
Mais le commissaire unique de l’exposition, Giuseppe Sala, n’est pas parvenu à coordonner les propos. Les pays ont conçu leurs espaces indépendamment. Chacun a saisi l’occasion pour concilier la thématique imposée avec une grande promotion de sa gastronomie nationale. Comment répondre à la question des 9 milliards, mieux qu’en expliquant ce que l’on fait déjà pour sa propre population ? C’est le raccourci emprunté par tous, parfois avec finesse, le plus souvent avec une faiblesse scientifique déconcertante.
La plupart des pavillons sont des espaces de dégustation décorés par un paysage sommairement documenté sur l’agriculture – parfois l’agronomie – nationale. Quelques exceptions, heureusement. Les Nations unies allient à un effort pédagogique quelques belles scénographies. Un mur digital géant illustre la spéculation sur les denrées alimentaires. Une installation monumentale interroge le gaspillage. Convenu, mais efficace. La Corée du Sud adopte le même parti pris, avec plus ou moins de pertinence selon les salles. Le Brésil est un des rares pays à proposer une vision politique du problème à son échelle, en revenant sur le principe de la Bolsa Familia (allocation financière créée sous Lula visant à sortir de la faim les familles très pauvres du pays). L’Angola crée une jolie surprise en dédiant son pavillon aux femmes : agricultrices, éleveuses, agronomes, décideuses. La position politique est efficace, la visite studieuse. La palme revient sans doute à la Malaisie, avec une contribution modeste, mais intelligente : sur un mur imprimé de paysages malais sont accrochées diverses espèces de plantes dans d’élégantes sphères vitrées. En dessous de chacune, une tablette présentant de manière vulgarisée l’utilisation traditionnelle du végétal en Malaisie, son impact environnemental, les recherches actuelles et le bénéfice que le monde pourrait en tirer dans quelques décennies. Déclinée par une centaine de nations, cette réponse locale aurait fait de l’exposition une manifestation à la hauteur d’ambitions raisonnables. Ce n’est pas le cas.
Une innovation originelle perdue
Convoquant les clichés des expositions parisiennes (1867, 1889, 1900, 1937), l’on peine à retrouver l’image du badaud admirant les technologies dernier cri. Dans le supermarché du futur, la mise en réseau des données de traçabilité permet au consommateur de contrôler sur un affichage digital les variations de l’empreinte carbone des aliments. Cette scénographie très réussie est grisante pour le client en plus d’être prometteuse. Mais elle est aussi symptomatique du travers politique de la foire, où le développement durable serait le fait exclusif du consommateur, qui doit contraindre le producteur par son exigence éthique. Certes, les changements d’habitudes alimentaires sont au cœur du problème. Mais la responsabilité des producteurs est étonnamment minorée (a fortiori à l’ère du risque médiatique planétaire). De fait, dans les pavillons du secteur privé, le discours n’est ni vraiment technique, ni politique. McDonald’s et Coca-Cola cotoient Syngenta, qui vient d’être l’objet d’une OPA par Monsanto (absent). Par exemple, quand les OGM sont mentionnés, le propos est allusif, énumératif.
Qu’en disent les artistes ? Hormis l’installation Hora et Demetra de Vanessa Beecroft ou les géniales têtes de Franz Xaver Messerschmidt remoulées au pavillon slovaque, la réponse artistique légitime a été réservée à la Triennale, dans le centre de Milan (lire page 8). Le critique Germano Celant y propose un commissariat étonnamment peu politique, à l’exception des photos de George Steinmetz. Partout, on cherche donc sans trouver. Des réponses arriveront sans doute par les brillants conférenciers invités durant ces six prochains mois, plus que dans les pavillons encore en travaux. Coincée entre les sommets de la terre, les biennales artistiques et architecturales ou les salons industriels privés, la manifestation connaît une crise de vocation. Elle n’existe plus que par une artificielle fidélité au charme désuet de ses prédécesseurs.
Après les fastes du pavillon de Shanghaï, les autorités françaises ont posé sur le béton milanais une structure signée XTU et Adeline Rispal, toute en bois du Jura et en sobriété. Pour un coût total de 23 millions d’euros dont 20 millions financés par l’État, la France se demande à Milan « comment produire et nourrir autrement ? » Deux vidéos relativement courtes, à l’infographie efficace mais à l’apport scientifique beaucoup trop bref, structurent la visite. Hormis cette vulgarisation, la structure alvéolaire du plafond démultiplie les espaces d’expositions, mais pour servir un propos décoratif et touristique. Pour atténuer la déception, on consultera le site internet très complet qui présente la « réponse française », et annonce le programme de conférences et de débats du Pavillon off de la France, dans le centre de Milan. Sur le pavillon in, il faut se contenter de croissants à deux euros pièce…
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Milan laisse le visiteur sur sa faim
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Abonnez-vous dès 1 €Le pavillon de l'Angola. © Photo : Expo 2015 / Daniele Mascolo.
Le pavillon de la Malaisie. © Photo : Expo 2015 / Daniele Mascolo.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°436 du 22 mai 2015, avec le titre suivant : Milan laisse le visiteur sur sa faim