Musée

Réouverture

Bergame retrouve son musée

Par Francine Guillou · Le Journal des Arts

Le 1 juillet 2015 - 934 mots

BERGAME / ITALIE

Après sept ans de fermeture et un important chantier de restauration, l’Accademia Carrare accueille ses collections dans un écrin rénové.

BERGAME - L’ouverture tombe à point nommé, à l’heure où Milan draine des centaines de milliers de visiteurs pour son Exposition universelle. À Bergame (située à 5 km de l’aéroport de Milan), on sent le soulagement et la fierté des habitants, privés pendant sept longues années d’un musée qui recèle des chefs-d’œuvre de l’art italien. « Sans “Milan 2015”, le musée aurait pu rester fermé encore quelque temps : le chantier a bénéficié de cette date butoir », souligne Christophe Sanchez, directeur du cabinet du maire de Bergame.

L’Accademia Carrara, du nom du premier mécène, Giacomo Carrara, est un large bâtiment néoclassique construit en 1810, symbole imposant de la richesse de la ville. Depuis 1796, les collections se sont enrichies au fil des dons et legs des principaux mécènes, faisant du musée l’un des plus riches de l’Italie du Nord avec 1 800 peintures.

Gérée par la ville depuis 1958, l’institution avait besoin d’un sérieux lifting. Pourvue d’un budget de 10 millions d’euros (abondé par un mécénat d’1,2 million d’euros venant de la banque Credito Bergamasco), la rénovation n’a pourtant pas permis de construire une extension comme initialement prévu ; les expositions temporaires sont toujours installées dans un bâtiment extérieur situé de l’autre côté de la place.

Aujourd’hui, 600 œuvres sont exposées (30 % de plus que dans l’ancien accrochage), essentiellement des peintures, du XVe au XIXe siècle, dans un parcours chronologique très classique se déployant sur deux étages et 26 salles. La muséologie ne laisse pas place à la fantaisie : murs blancs, cimaises ordonnées et cartels très pédagogiques.

130 tableaux restaurés
Les collections surtout ont bénéficié de ce long chantier. Depuis 2008, 130 tableaux ont ainsi été restaurés, parmi lesquels l’œuvre emblématique qui inaugure le parcours : le portrait de Leonello d’Este par Pisanello (1441), une tempera sur bois qui a retrouvé ses couleurs et la finesse de ses détails. Certains visiteurs français le reconnaîtront : le tableau avait fait partie en 2010 de l’exposition au Musée de Caen réunissant 80 chefs-d’œuvre du Musée de Bergame, un prêt obéissant à la politique des équipes du musée italien, faire voyager les œuvres dans le monde entier, du Metropolitan Museum of Art à New York en 2012 au Musée Pouchkine à Moscou en 2014.

Quant à la Madone à l’Enfant de Mantegna (vers 1480), sa toile a été entièrement déposée de sa structure de bois, puis, tenue en tension par un système métallique complexe, a été enchâssée dans un lourd cadre afin de préserver la couche picturale de l’œuvre aux subtils accents de lapis-lazuli et d’or.

Le travail de restauration a  donné lieu à quelques mauvaises surprises : ainsi, un tableau censé être de la main de Bruegel l’Ancien s’est révélé être une copie d’un anonyme lombard. Mais le musée peut toujours compter sur un fonds très important de Lorenzo Lotto, qui passa sept ans à Bergame dans les années 1520 à peindre pour les églises et les notables de la ville.

La collection comprend aussi les œuvres de Giovanni Battista Moroni, célèbre portraitiste natif de Bergame, dont le Portrait d’un vieil homme assis (vers 1575) est une pièce maîtresse. À Bergame également, Fra Galgario peint au XVIIIe siècle une société riche et lettrée, sensible aux Lumières venues des aristocrates du Grand Tour. À l’occasion de sa réouverture, le musée a publié un catalogue de ses collections, illustrant la richesse de celles-ci mais également le travail accompli par les chercheurs ces dernières années.

Patrimoine cherche visiteurs internationaux

La région de Bergame, l’une des plus riches d’Italie, lance une opération séduction. L’objectif affiché : convaincre les visiteurs de l’Exposition universelle de Milan 2015 de faire un crochet de quelques kilomètres à la sortie de l’aéroport de Bergame. La ville de Bergame, préservée depuis des siècles (pas un tremblement de terre, pas un bombardement dans la cité haute durant les deux guerres mondiales), est entretenue par une riche bourgeoisie ancestrale quelque peu jalouse de son intimité. Résultat : la cité lombarde recèle des architectures en excellent état de conservation, redevables d’une politique de restauration soutenue par la fondation MIA (Congregazione Misericordia Maggiore Bergamo), propriétaire de plusieurs édifices religieux. La ville veut redynamiser son tourisme et mise sur une offre alliant patrimoine, gastronomie et développement durable.

Sur le territoire, plusieurs exemples de cette alliance entre grandes familles, Église et collectivités locales apparaissent en 2015. Au château de Malpaga, une vieille famille italienne tente de monter un projet de spa/hôtellerie/centre d’affaires dans les communs encerclant le château de Bartolomeo Colleoni datant du XVe siècle. Les propriétaires lorgnent des investissements étrangers : au détour de sa visite de l’Expo de Milan, l’émir du Qatar a pu apprécier l’ampleur du projet, estimé à plusieurs dizaines de millions d’euros… En mai s’est ouvert le monastère d’Astino, lieu d’exposition, de visite et de restauration. Sur les collines de Bergame, la fondation MIA a fait l’acquisition des terrains et du bâtiment dont les fondations datent du XIe siècle ; la Ville a financé une partie des travaux de restauration (4 millions d’euros) et une école de gastronomie devrait voir le jour, surplombant les champs labélisés culture biologique. Dans la ville, la municipalité a réussi à sauver l’ancienne caserne (XVIIIe-XIXe siècles) désaffectée depuis les années 1970, en s’alliant avec l’Université. Pour 22 millions d’euros, l’Université y installera des résidences universitaires, des bureaux et des commerces afin de redynamiser un quartier resté pendant longtemps en friche. Avec 28 % d’étudiants en plus en seulement deux ans, la ville veut montrer un visage jeune et dynamique.

Accademia Carrara

82, place Giacomo Carrara, Bergame, Italie, tél. 39 035 23 43 96, www.lacarrara.it, tlj, du lundi au jeudi 9h-19h, vendredi 9h-minuit, samedi et dimanche 9h-20h, entrée 10 €. Catalogue italien-anglais, éd. Officina Libraria, Milan, 19,90 €.

Légendes Photos :
L'Accademia Carrara, à Bergame © Photo Mario Cresci
Andrea Mantegna (1431-1506, Vierge à l'Enfant, 1480, 43 x 31 cm, Académie Carrara, Bergame

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°439 du 3 juillet 2015, avec le titre suivant : Bergame retrouve son musée

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