MILAN (ITALIE) [04.05.15] - La contestation de la rue et les retards de construction ont laissé un goût d’inachevé à l’ouverture de l’exposition universelle, malgré l’incontestable succès populaire. Reportage de notre envoyé sur place.
La patrouille d’Italie a coloré le ciel de rouge et vert avant le discours du Président du conseil Matteo Renzi. Pourtant, le gris a invariablement dominé. Celui des nuages, en écho à celui du béton ciré du théâtre de plein air où se sont succédé des propos convenus, vendredi 1er mai vers midi, autour du thème de l’exposition : « nourrir la planète, énergie pour la vie ». Après un hymne italien modifié pour l’occasion (le chœur des enfants a troqué le « nous sommes prêts à mourir » en « nous sommes prêts à vivre »), Matteo Renzi a inauguré le pavillon italien. Clou du spectacle à la peinture encore fraîche, l’immense cube blanc de béton a finalement (presque) ouvert tous ses espaces à temps.
Un billet d’entrée de 32 €
Pour arriver jusque-là, au croisement du Cardo, il a fallu s’acquitter d’une entrée à trente-deux euros et parcourir plus d’un kilomètre sur le Decumanus. Tout au long de l’immense allée, d’élégantes voiles de bateau montées à une vingtaine de mètres du sol protègent du soleil et de la pluie. En reproduisant le plan antique de la ville romaine, Herzog & de Meuron et le Studio Boeri ont offert à la centaine de pavillons nationaux une belle perspective, discrètement ornée par les drapeaux verticaux. Le plan général est une réussite. L’échelle est juste. Il est aisé de s’y repérer, la circulation est fluide malgré la foule. L’acoustique est forte sans être pesante. Même si l’immensité du lieu (110 hectares) rend le parcours éprouvant, les organisateurs ont conçu un espace plus humain que les 500 hectares de Shanghai, en 2010. En deux jours et avec un bon pas, on peut avoir visité la majorité des quelques deux cents lieux d’expositions – dont 10 % n’ont pas encore ouvert.
Comme on pouvait l’attendre, le Decumanus est un joyeux ensemble hétérogène : s’y sont succédé en un week-end danseurs et chanteurs de tous les pays, dans un folklore bon enfant à mi-chemin entre les JMJ et le sommet de la terre. Les pavillons nationaux jouent le jeu d’un monde miniature. L’architecture y est tantôt originale et délicate (France, Bahreïn), tantôt traditionnelle (Soudan, Vietnam), tantôt excentrique (Azerbaïdjan). Certains pays sont invités par la foire à se regrouper en « clusters », groupes de pays dédiant leur pavillon (souvent plus modeste) à un thème proposé par la foire : les denrées de base (riz, cacao et café), les contraintes climatiques particulières (zones arides), etc. Sur le papier, l’idée est belle. Dans les faits, elle révèle souvent des expositions scientifiquement faibles, réduites à une description rapide des modes de production.
Nourrir la planète et les visiteurs
Les pays n’échappent pas à cette grande hétérogénéité des propos. D’un côté, la Corée du Sud investit dans une belle scénographie sur le nécessaire changement des habitudes alimentaires. Plus loin, l’Espagne ou la France offrent un joli cours de gastronomie régionale mais sont hors-sujet, ne répondant pas à la question posée : comment nourrir 9 milliards d’êtres humains en 2050 ?
Si très peu ont proposé d’innovantes solutions pour nourrir la planète, tous se sont préparés à nourrir (parfois à prix fort) les 20 millions de visiteurs attendus en six mois. La note, souvent salée, est compensée par les dégustations gratuites : on goûte, on mange, on boit, partout, tout le temps ! Les spécialités de tous les pays rendent le parcours gastronomique plus facile à discerner que le raisonnement scientifique censé sous-tendre les participations. Les seules à pleinement respecter l’impératif scientifique et politique sont les Nations Unies, avec une éblouissante scénographie dans le « pavillon zéro ».
30 000 manifestants
Car c’est là que le bât blesse, depuis le début. Si la corruption a été pointée du doigt durant le chantier, c’est indéniablement l’utilité politique du rassemblement qui suscite les amertumes. Quel crédit apporter à une exposition sur l’avenir alimentaire du monde, quand la réflexion est financée par des multinationales controversées de l’agro-alimentaire ? Pourquoi dépenser autant d’argent à une prétendue réflexion planétaire quand les législateurs sont encore écologiquement frileux ? Entre la chanteuse kazakh et les réacteurs de l’aviation italienne, on n’entendait pas, au loin, les cocktails molotov et les bombes lacrymogènes échangés dans le centre de Milan. Nul écho d’un mécontentement qui a tout de même réuni près de 30 000 personnes près du Duomo, où quelques encagoulés ont désagrégé le cortège festif pour offrir aux caméras internationales les habituelles scènes de violence urbaine. Pourtant, la manifestation pacifique des « No Expo » ressemblait à s’y méprendre au défilé de la « société civile » qui parcourait le Decumanus au même moment. Sans doute parce que dehors comme dedans, le sentiment sur l’exposition est indécis.
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Milan 2015 ouvre sans grande émotion
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Du 1er mai au 31 octobre 2015 à Milan : 145 pays participants sur 110 hectares.
En savoir plus www.expo2015.org
Légendes Photos :
Les visiteurs arrivent à l'Exposition universelle le 1er mai 2015, Milan © AFP PHOTO / OLIVIER MORIN
Pavillon des Nations Unies sur la spéculation sur les denrées alimentaires à l'Expo2015 de Milan, le 3 mai 2015 © photo David Robert pour LeJournaldesArts.fr